PARIS (Reuters) — Après le dossier Clearstream, l'affaire Karachi a relancé l'affrontement entre Nicolas Sarkozy et Dominique de Villepin, dans le prolongement de celui qui opposa leurs mentors Edouard Balladur et Jacques Chirac. L'enjeu est de taille — deux présidents et deux ex-Premiers ministres sont cités — alors que s'insinue le soupçon que 11 Français sont morts à Karachi en mai 2002 en raison d'une corruption qui aurait mal tourné. Nicolas Sarkozy a promis samedi de transmettre à la justice française tous les documents nécessaires à l'enquête sur l'attentat. Mais pour Magali Drouet, fille d'un salarié de la Direction des constructions navales (DCN) décédé lors de l'attentat, cet engagement «sonne comme un aveu» et «on sent de la panique au plus haut niveau de l'Etat». Le président «reconnaît qu'il existe des documents intéressant l'instruction qui n'ont pas encore été transmis», a-t-elle dit hier dans Le Parisien. Le ministre de la Défense, Alain Juppé, a estimé que l'interprétation des propos du chef de l'Etat était erronée. «Cela ne veut pas dire qu'on a caché quoi que ce soit. Cela veut dire qu'il (Nicolas Sarkozy) est prêt à répondre à des demandes supplémentaires» des juges en charge de l'enquête, a-t-il dit sur Canal +. Après le député PS, Bernard Cazeneuve, Jérôme Cahuzac, président socialiste de la commission des finances, a réclamé la relance de l'enquête parlementaire sur Karachi. «On doit la vérité aux familles (...) La coexistence de cette quête de vérité avec une ambiance de soupçon crée un malaise incontestable», a-t-il dit sur Europe 1. «Commentaires politiciens» Jean-Luc Mélenchon, président du Parti de gauche (PG), a estimé, lors du congrès de son parti, que l'affaire Karachi pouvait «être la peau de banane finale sur laquelle va glisser tout le système» compte tenu de la gravité des faits évoqués. La piste d'une vengeance après l'arrêt du versement de commissions a pris de l'ampleur dans l'enquête sur l'attentat-suicide qui, en 2002, fit 15 morts, dont onze Français de la DCN travaillant à la construction de sous-marins vendus par Paris. Plusieurs témoins-clés, dont l'ancien ministre de la Défense, Charles Millon, et Dominique de Villepin, secrétaire général de l'Elysée sous Jacques Chirac, ont confirmé que, tout juste élu en 1995, le chef de l'Etat avait demandé de mettre fin aux contrats pouvant donner lieu à des rétro-commissions, dont celui des ventes de sous-marins. La justice s'interroge sur un possible financement illégal de la campagne présidentielle d'Edouard Balladur en 1995, dont Nicolas Sarkozy était le porte-parole. Alain Juppé a insisté sur le fait qu'on en était pour le moment «au stade des rumeurs et des allégations». «Est-ce qu'il y a un lien entre l'attentat de Karachi et l'interruption des commissions, on n'en sait rien», a-t-il dit. Dominique de Villepin a lancé la charge vendredi soir en confirmant l'existence de «très forts soupçons de rétrocommissions illégales» dans la vente de sous-marins. De Lisbonne, en marge du sommet de l'Otan, Nicolas Sarkozy a aussitôt contre-attaqué, dénonçant une «polémique qui n'a pas lieu d'être». «La justice est saisie, qu'elle fasse son travail et qu'on n'essaye pas de coller dessus des commentaires politiciens qui ne sont vraiment pas à la hauteur de la douleur des familles qui ont perdu leurs proches», a-t-il dit. Nicolas Sarkozy a également promis la communication de tous les documents sur l'affaire. Le président du Conseil constitutionnel, Jean-Louis Debré, a refusé de transmettre au juge Renaud Van Ruymbeke les délibérations sur les comptes de la campagne présidentielle d'Edouard Balladur en 1995, ces dernières étant couvertes par le secret pendant 25 ans. Un moment visé par les familles de victimes de l'attentat, Dominique de Villepin a demandé à être entendu comme témoin par le juge Van Ruymbeke le plus vite possible. En conséquence, les familles ont décidé de surseoir à la plainte envisagée contre lui dans l'attente d'éventuelles précisions de sa part. «Les familles ont trouvé l'attitude de M. Dominique de Villepin courageuse, de venir s'expliquer rapidement à TF1, de fournir les précisions sur les enquêtes», a expliqué leur avocat Me Olivier Morice. Il avait annoncé vendredi le dépôt d'une plainte pour mise en danger d'autrui et homicides involontaires visant Dominique de Villepin, Jacques Chirac et d'anciens dirigeants de la Direction des constructions navales (DCN).