Toutes les crises africaines qui se sont internationalisées ont fini par sombrer dans le pire. C'est presque une loi du genre. La Côte d'Ivoire n'y échappe guère. Résumons. Depuis le second tour de l'élection présidentielle, le 28 novembre, la Côte d'Ivoire compte deux présidents. D'un côté, Alassane Ouattara, proclamé vainqueur par la Commission électorale et soutenu par un grand nombre de pays occidentaux. De l'autre, Laurent Gbagbo, déclaré élu par le Conseil constitutionnel et disposant de l'appui des chefs de l'armée. La tension monte au fil des jours et l'on craint de monter d'un cran encore plus tragique dans le registre du pire. Avant-hier, les Etats-Unis d'Amérique ont ordonné l'évacuation du personnel non essentiel de leur ambassade en Côte d'Ivoire. Ils agitent le spectre des risques croissants de violences. A entendre le département d'Etat, les manifestations de partisans du président sortant Laurent Gbagbo risquent de "devenir violentes" et l'"on ne peut exclure de l'hostilité à l'égard des Occidentaux, y compris des ressortissants américains". Washington semble avoir choisi une option non frontale mais ferme. Ainsi, les Etats-Unis se sont-ils déclarés prêts à se joindre à l'Union européenne pour imposer des sanctions limitant les voyages de Gbagbo et de ses proches s'il refuse de quitter le pouvoir. Une manière de se positionner sans s'enfoncer dans les méandres d'un conflit latent et aux issues brumeuses. En fait, la tension entre Gbagbo et les forces étrangères chargées du maintien de la paix est montée d'un cran avant-hier. L'ONU a en effet refusé que ses troupes quittent la Côte d'Ivoire comme l'exige le président sortant Laurent Gbagbo. Il faut savoir que 10.000 Casques bleus et policiers de l'ONU ainsi que 950 soldats français du dispositif Licorne (force d'appui qui ne répond que de Paris) sont actuellement basés en Côte d'Ivoire. Le siège de l'Onuci à Abidjan avait essuyé des tirs d'hommes armés "vêtus de tenues militaires" dans la nuit de vendredi à samedi selon les sources onusiennes sur place. Le président sortant Laurent Gbagbo accuse de son côté l'Onuci d'appuyer militairement l'ex-rébellion des Forces nouvelles (FN) qui soutient son rival élu Alassane Ouattara. Hamadoun Touré, porte-parole de l'Onuci, concède volontiers le paradoxe de la situation des forces internationales : "Nous sommes destinés à nous interposer dans un conflit et à protéger des populations civiles contre des milices. Nous ne sommes pas censés avoir une confrontation avec une armée régulière", a-t-il affirmé il y a peu (propos rapportés par Le Figaro). Côté français, le ton est nettement plus tranché que celui de Washington. La ministre française des Affaires étrangères Michèle Alliot-Marie en a fait état. Elle a rappelé que les soldats français n'ont pas l'intention de s'interposer entre les Ivoiriens. Ce qui n'exclut guère leur riposte vigoureuse s'ils étaient attaqués. Elle a tout simplement rejeté l'appel de Gbagbo en faveur du départ des troupes onusiennes et françaises. "Cela n'a aucun sens ni pour l'Onuci, ni pour la France, a-t-elle déclaré. Laurent Gbagbo n'a plus aucune compétence ni aucun pouvoir". Elle a rappelé que le Président français Nicolas Sakory avait lancé vendredi un ultimatum à Laurent Gbagbo. Il lui enjoint tout simplement d'accepter la victoire d'Alassane Ouattara avant dimanche soir sous peine d'être frappé de sanctions. Mme Alliot-Marie en profite d'ailleurs pour ré-exhorter Laurent Gbagbo à quitter ses fonctions. Autrement, il devrait subir, ainsi que ses proches, des interdictions de voyage, le gel de ses avoirs et le retrait de la signature sur les comptes du pays. "Il lui revient, dans les heures qui viennent, de faire un choix", a-t-elle asséné. Sur le terrain, l'état des choses empire. Les violences en Côte d'Ivoire ont fait "ces trois derniers jours plus de 50 morts et plus de 200 blessés", a estimé dimanche la haute commissaire aux droits de l'Homme de l'ONU, Navi Pillay. On saisit dès lors la gravité de cette donne complexe. Un véritable imbroglio à plusieurs variantes et aux issues incertaines. Pascal Affi Nguessan, ancien Premier ministre, brode sur un registre particulièrement porteur pour les Ivoiriens : "Si les troupes de l'Onuci restent, nous les considérerons comme une force d'occupation et de recolonisation". A l'entendre, "la France et les Etats-Unis défendent leurs intérêts et pour cela ils veulent imposer leur président Alassane Ouattara à la Côte d'Ivoire. Nous ne négocierons pas notre souveraineté". L'internationalisation de la crise ivoirienne est forcément néfaste. Les Occidentaux, plus particulièrement les Français, marchent sur des œufs en Côte d'Ivoire. Si, à l'échelle de la représentation du moins, les choses prennent l'allure de positionnement anticolonial ou néocolonial, il y a bien de vieux démons qui ne manqueront pas de ressortir. Avec leur funeste cortège de risques et périls.