Loin de la compétition chant et composition, les Journées musicales de Carthage se sont poursuivies jeudi au 4e Art avec le magnifique récital de luth du grand virtuose de l'instrument de référence de la musique arabe, Nassir Chamma. «Sultan» des instruments et outils pédagogiques par excellence, le luth traduit et accompagne la ligne mélodique du chanteur à la même hauteur. Nassir Chamma est le dernier-né d'une prestigieuse lignée de luthistes appartenant à la célèbre école irakienne, dont le plus digne représentant reconnu à l'échelle planétaire, fut incontestablement Mounir Bashir (1932-1997). Né en 1963, Nassir a enseigné le luth à l'Institut supérieur de musique de Tunis de 1993 à 1999, année où il a été promu directeur du Centre arabe de luth du Caire. Aujourd'hui, il dirige l'Institut «Beït el-ûd» qu'il a fondé au Caire. Cette dignité, il l'a acquise grâce au fait qu'il a créé le premier luth à huit cordes selon des normes établies par Al Farabi. Amour et liberté Le récital de l'artiste irakien nous a apporté son lot de nouveautés, il a fusionné la rigueur abbasside à la sensibilité à fleur de peau de son âme tourmentée par la tragédie de la guerre en Irak, toutes deux convergeant vers un même idéal, celui de développer les énergies positives de l'esthétique musicale de la magie orientale. Programmé initialement à 15h00, le récital a été reporté à 20h00. Il a vu une affluence record. Intitulé Hob wa horriya (Amour et liberté), Nassir y a présenté un cocktail de pièces instrumentales, balayées par des influences musicales turques, byzantines et persanes. De savoureux morceaux très rythmés au goût et aux couleurs, des tendances musicales d'un Orient qui n'a pas cessé de nous fasciner tant il nous conforte dans l'idée qu'il est en mesure d'ouvrir une brèche dans la muraille de l'hégémonie culturelle d'un Occident arrogant et injuste. Les barrières sont immédiatement tombées aussitôt les premières notes égrenées. A sa manière de pincer et de gratter les cordes de son instrument, dans une élégance innée, on se rend à l'évidence, qu'entre lui et son luth, c'est une histoire d'amour, quelque chose comme un courant très fluide de sentiments qui s'est établi au point de créer, faire jaillir une complicité si nécessaire pour la fusion et l'osmose. Nassir Chamma est un pur produit d'un mélange réussi de différents courants ethniques et culturels qui ont modelé et façonné l'Irakien moderne. D'où l'extraordinaire richesse et l'exubérante fantaisie de sa musique. Artiste extrêmement doué et perfectionniste jusqu'au bout des ongles, capable de toutes les prouesses, il a l'intelligence et le chic d'affûter ses compositions d'un feeling de nature à ébranler et secouer l'auditoire au point de le plonger dans une espèce de torpeur et de léthargie en totale communion avec l'esprit de cette musique où il est question de langueur, d'abandon et d'un vague à l'âme, parfaitement restitué par la magie et le génie du luth, cet instrument de musique introduit en Europe par les Arabes et qui connut une grande vogue du XVIe au XVIIIe siècles. Dans le strict respect de l'esthétique instrumentale, Nassir Chamma jouit d'une très haute considération, néanmoins s'il ne connaît qu'un succès sans grande dimension commerciale, c'est sans nul doute du fait de l'absence d'une authentique assise populaire. Soirée majeure, le récital Hob wa horriya aura marqué d'une pierre blanche cette première édition des Journées musicales de Carthage.