« On a tous le sentiment de vivre quelque chose de nouveau mais ce n'est qu'un sentiment parce que tout doit être construit selon un vrai projet de société » Dhahbi Zdiri descend de Kasserine, «une région où l'on ne respire pas l'oxygène sociale» précise d'emblée ce jeune de 27 ans, serveur dans un café. A La Manouba, il pensait avoir trouvé un petit job tranquille pour gagner 300 D. «Mais je n'oublie jamais que j'ai été privé de mon rêve, celui de terminer mes études d'économie et de gestion sociale parce que je n'appartenais pas au RCD. J'ai dix frères et je dois participer à leurs frais d'études, sans oublier mon père malade. Je fais aussi des sacrifices pour payer les frais de master de mon frère qui habite chez moi. Quand le fils du Omda trouve tout de suite un travail, je ne pose plus de questions. Lui c'est l'enfant du RCD !», poursuit très amer, ce jeune qui, le couvre feu arrivé, participe à l'un des 5 comités de quartier de Manouba-Centre, un nouveau quartier situé entre Manouba ville et Den Den. Dhahbi Zdiri ne veut pas s'étaler sur son cas ni sur les injustices subies par d'autres jeunes de sa connaissance. «Maintenant, j'espère que la transition sera réussie, sinon ce serait un échec total. Je le dis parce que le risque est là. Il y a encore un danger caché et il faut faire attention. Je parle notamment de ces excès, ces derniers jours, au nom d'une soi-disant éthique pure et dure. Je ne pense pas qu'on va changer tout de suite. Il y a des griefs considérables mais soyons réalistes et posons le problème de cette façon : l'ancien chef promettait 300.000 postes de travail. Aujourd'hui il en faudra 500.000 à la suite des dégâts perpétrés contre les administrations publiques, les commerces et autres biens. C'est malheureux mais il faut les trouver ces postes de travail ! », affirme ce Kasserinois bon teint. Construire sur des bases durables La lucidité de ce jeune est déjà la marque d'une maturité construite au gré des difficultés rencontrées au cours de ces dix dernières années, depuis exactement son bac en économie. Seulement les choses ont mal tourné car les pistons et l'argent sous la table, il ne connaît pas forcément. « On a tous le sentiment de vivre quelque chose de nouveau mais ce n'est qu'un sentiment parce que réellement tout doit être construit selon un vrai projet de société. Toute la question est là. Je le dis aussi parce que j'ai l'impression que dans les sphères politiques, chacun veut récupérer la transition. Ce qui est arrivé est très important mais nous devons tous comprendre qu'un travail énorme reste à faire. La chute d'un dictateur, c'est quelque chose d'extraordinaire. La peur a disparu. Du coup, des millions de jeunes souhaitent construire sur des bases durables. Il faut du temps, une année peut-être, pour mettre en place les jalons d'une nouvelle organisation dans le pays, mais je reste personnellement circonspect. Je crains que l'on oublie l'essentiel : faire démarrer les structures à tous les niveaux. Il faut se remettre au travail » enchaîne encore Dahbi, qui s'apprête à rejoindre ses partenaires du comité de quartier. «Ce sont des jeunes qu'on essaye d'encadrer, de conseiller pour ne pas tomber dans l'autre excès, celui de profiter de la situation pour imiter les casseurs. Il y a des amitiés spontanées qui naissent, on partage repas, boissons chaudes et cigarettes. C'est très sympa comme expérience mais j'espère que cela ne durera pas plus …» Des veillées à haut risque ? «Pas tout à fait car ici nous avons la chance d'être à 400 m d'une grande caserne. Il faut tout de même rester vigilant car les mauvaises surprises ne sont pas exclues. On n'a pas peur mais on se méfie tout en espérant que ça finira le plus tôt possible».