La nomination de Moufida Tlatli à la tête du département de la Culture a suscité parmi les acteurs culturels deux réactions divergentes . Signe des nouveaux temps, de la liberté d'opinion, d'expression? Quoi qu'il en soit, le fait est là: la nomination d'un ministre est désormais du domaine de la chose publique . Finies les pratiques du fait accompli, des choix arbitraires, des diktats... Il va falloir, en conséquence, aller jusqu'au bout du processus. Autrement dit, il s'agit de donner un contenu concret à cette disposition. La nouvelle ministre qui semble déterminée à braver, j'allais dire à défier, la contestation de sa nomination, aura, du moins momentanément, à gérer l'un des départements les plus complexes. Les problèmes de la culture: sa marginalisation, ses défaillances, l'immobilisme de ses structures ne sont un secret pour personne. Il va sans doute falloir démonter tout le processus qui a créé l'énorme, le terrible décalage entre le discours officiel et les pratiques de l'action culturelle. Celle-ci s'étant investie dans le simulacre stratégique charrié par l'ostentation et la médiatisation à outrance. Cette dépravation n'aurait pu persister, ni s'enraciner dans les mœurs culturelles du régime déchu sans la complicité d'une sorte de mafia culturelle qui a profité de l'hypocrisie de ce régime en vampirisant les ressources publiques , aux dépens de l'intelligence créatrice , des potentialités indépendantes et des esprits libres . En termes plus clairs, peut-être plus crus, il est temps de moraliser le consulting culturel qui fut considéré jusqu'ici comme l'apanage des «barons» spécialistes de la flagornerie et détenteurs «universels» de l'aune de l'intelligence, de la créativité, de l'exclusivité, de la qualité...la faisant systématiquement pencher au profit de leur seul talent, se faisant passer pour des indispensables, voire des incontournables ! Comble de l'effronterie: certains ont la peau dure qui se sont précipités, le soir même de la fuite du dictateur, pour désavouer ses «crimes» dont ils auraient été parmi les victimes! Est-ce à dire qu'ils se préparent à une nouveau mandat de flagornerie, à vie? C'est un dossier de priorité, de toute urgence qui devrait faire frémir le bureau de la nouvelle ministre, en attendant que lorsque seront révélés ses éléments, donneront , à plus d'un, la chair de poule... Les valeurs culturelles reviennent, de très loin, sûrement, mais cette fois-ci, elles ne sont pas près de se plier aux entraves et encore moins celles qui empêchent le mérite, le vrai, de se déployer dans toute sa splendeur, sa sincérité sa magnificence et sa générosité. La culture ,faut-il le rappeler, est cette expression qui, par la magie de son élan créateur , libère , purifie, transcende, transgresse, ébranle, dénonce, proteste, construit, déconstruit, prospecte, éclaire, ajoute et porte des significations telles que seuls peuvent la gérer ceux qui savent encore porter ces valeurs, qui ont la force de les préserver, de les cultiver, de les prémunir contre les conspirations de toutes sortes. Moraliser, donner la chance à l'imagination, régulariser la gestion, réajuster la législation, revaloriser le mérite, prospecter les chances de l'avenir, définir les priorités, humaniser la gestion , ce sont là, à notre avis, les termes-clés qui donneraient un sens à une éventuelle stratégie de la culture et garantiraient le sauvetage du secteur, la crédibilité de son action et la réconciliation avec ses acteurs.