Ainsi, le rideau est enfin tombé sur le règne de Ben Ali. Il était temps car, 23 ans durant, le président déchu et son entourage ont vidé l'Etat de sa substance, distribuant à ses proches rapaces les ressources du pays. Les pratiques mafieuses des siens, qu'il acceptait et couvrait avec la complicité de plusieurs membres d'institutions de l'Etat, prouvent — si besoin est — les dérives et la corruption du régime. L'immolation par le feu du jeune Bouazizi a déclenché dans le pays la révolte qui, en quelques jours, a entraîné la chute de Ben Ali et sa fuite vers d'autres cieux. A présent, et après l'installation du Président de la République par intérim et du Premier ministre reconduit, et la formation du gouvernement de transition, les manifestations n'ont pas cessé, contestant la présence de ministres de l'ère révolue dans certains départements, et demandant la dissolution du RCD. La liberté réelle dont nous jouissons depuis la mi-janvier, la participation de l'opposition et de personnalités proches de l'Ugtt au nouveau gouvernement, la libération des détenus politiques, et l'engagement du chef de l'Etat «à une rupture totale avec le passé» dans son allocution solennelle le 19 courant, autant d'éléments positifs qui n'ont pas suffi à convaincre les manifestants. L'intégrité et la compétence des ministres reconduits dans le cabinet de coalition ne font pas l'ombre d'un doute, comme l'a si bien rappelé le Premier ministre. Quant au Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD), sait-on qu'il n'est pas le monopole de Ben Ali ? Il est d'abord le parti de Bourguiba (le Néo-Destour) qui, avec ses compagnons de lutte, l'a créé le 2 mars 1934 à Ksar Helal. Il est également la propriété de tous les militants du mouvement national sans exclusive. Doit-on aussi rappeler qu'il a ses propres structures aux quatre coins du pays et jouit de statuts et d'un règlement intérieur. Jadis acteur de l'indépendance et de l'implantation de l'Etat tunisien, on cherche sciemment aujourd'hui à le dépouiller à cause des acolytes de Ben Ali. Il devient de la sorte un bouc émissaire, une victime expiatoire. Toujours est-il que sa dissolution n'est pas chose facile et qu'elle ne peut se réaliser que par un congrès extraordinaire tenu à cet effet. Et puis, le RCD peut-il encore déranger quand on sait que la séparation entre l'Etat et le Rassemblement sera dorénavant une réalité ? Certes, plusieurs membres du bureau politique et du comité central ont aidé le clan Ben Ali-Trabelsi dans leur sale besogne et sont complices des dérives du régime. On peut donc bien concevoir et exiger l'exclusion de tous ces responsables des instances du Rassemblement, façon d'assainir les rangs. Une telle opération a d'ailleurs déjà été entamée avec la radiation de 6 membres du bureau politique et de deux membres du comité central. A mon sens, un congrès extraordinaire doit nécessairement suivre dans les prochaines semaines pour réviser la stratégie du parti, réorganiser les structures, élire un nouveau comité central et, pourquoi pas, changer encore une fois la dénomination du parti, le tout à la lumière de la nouvelle situation politique dans le pays. La démocratie implique le respect de l'autre et le rejet du désordre. Or, ce que les manifestants scandaient va à l'encontre du processus démocratique. En effet, dans une manifestation, on ne peut demander la dissolution d'un parti auquel on n'est pas affilié et se considérer en même temps comme étant démocrate. En réalité, le problème ne concerne que les destouriens qui, à coup sûr, militent pour la pérennité des partis, et en premier lieu le leur. Il est vrai que la Tunisie fait un passage sans liaison de la dictature à la liberté. Il est aussi vrai que la transition démocratique peut passer par des moments de flottement. Gardons-nous des manœuvres politiciennes et rendons cette transition pacifique pour arrêter de mettre en péril notre économie, pour permettre aux élèves et aux étudiants de reprendre en vitesse les cours et pour, en fin de compte, faciliter l'instauration d'une démocratie solide et durable, vœu de tous les Tunisiens. A cet effet, rétablissons rapidement la confiance en l'Etat. Il y va de l'intérêt national.