• Le temps est déjà à la rétrospective. Tirons les leçons de la révolte tunisienne, qui pourrait faire figure d'exemple pour d'autres mouvements de contestation Au terme d'un long périple en Orient, Benoist-Méchin écrivait en exergue de son Printemps arabe (1959) : "Le monde se transforme plus rapidement qu'on ne le croit et rejette comme des épaves tous ceux qui ne se transforment pas au même rythme que lui." Qui attendait de la Tunisie une révolution aussi subite ? Au sablier des satrapies, on n'imaginait pas le régime Ben Ali moins durable que tant d'autres dictatures méditerranéennes et, à vrai dire, certains redoutaient davantage sa fin que ses exactions. Droite et gauche confondues, la France s'y sera laissée gravement prendre, elle qui, pourtant, était la mieux "informée". Espoir et modestie, les deux préceptes du soulèvement tunisien De cette ploutocratie gloutonne, atténuée par une patine sociale, ont surgi sous la matraque et les pots-de-vin des années de croissance, un tissu économique significatif, un effort éducatif notable, un tourisme lénifiant; cocktail détonnant qui a sans doute grisé nos dirigeants. En quelques heures, la clique réputée invincible a volé en éclats face à la colère d'un peuple indigné, mûr, déterminé et responsable. Il n'y a pas de mur de Tunis; mais s'il y en avait un, il faut penser qu'il serait tombé comme celui de Berlin. La première leçon de la révolution tunisienne est la modestie, celle que nous imposent la soudaineté des événements, la faillite des analyses savantes, la déroute des cyniques. Il n'y a pas de mur de Tunis; mais s'il y en avait un, il faut penser qu'il serait tombé comme celui de Berlin - et nous n'y serions pour rien. La seconde morale est celle de l'espoir. Celle d'un vrai changement qui pourrait à son tour en entraîner d'autres. On songe évidemment à l'ensemble du monde arabe, où, en dépit de contextes, de circonstances et de sociologies différentes, sévit le même malheur: des peuples soumis à des régimes "compradores" à forte tonalité coercitive, une misère endémique dont on sort mieux par la débrouille que par le mérite, des élites entre deux chaises et une intelligentsia hautement cognitivée, qui doit compter ses mots pour garder sa liberté. Nul ne sait si le parfum de la révolution du Jasmin gagnera les plateaux algériens, le désert de Libye, voire le Moyen-Orient. Mais s'il se confirme que la Tunisie élabore une sorte de modèle démocratique appliqué au Sud, comment imaginer que son exemple reste isolé ? "Indignez-vous !", aurait dit Stéphane Hessel. Le peuple tunisien a fait mieux; il a pris son destin en main.