Dans ma boîte, plusieurs fois défoncée pendant les évènements de Tunisie, une lettre traînait sans doute depuis quelques jours. Froissée, jaunie, elle sentait le brûlé. Elle attira mon attention. Je l'ouvris maladroitement ; elle était signée Mohamed Bou… Je ne voyais pas qui c'était, jusqu'au moment où les mots me prirent à la gorge…: «Vivre ou mourir ?...J'ai choisi de vivre, vivre en vous, vivre dans vos mémoires et dans vos cœurs, vivre dans l'histoire…plutôt que de mourir aux portes de vigiles véreux et compromis d'un pouvoir impopulaire, à mendier des droits légitimes. Certes, je me suis immolé par le feu. Si vous saviez ce que l'odeur de l'essence m'est désagréable! Et le feu, quand ça crépite, c'est l'enfer ! Vous ne pouvez imaginer ce qu'est l'enfer ! Mais j'ai eu moins mal que lorsque cette gifle m'a réduit à néant ! Je suis mort à ce moment-là ! … Aujourd'hui, ma tombe est blanche et fleurie. Dessus, vous avez écrit : «repose en paix !». Et j'entends la voix de ma mère qui n'a plus de larmes pour pleurer. Elle n'a que faire de vos discours pitoyables. Moi non plus. Comment trouver la paix si vos voix m'agacent, vous qui prenez le train en marche ? Vous qui, aujourd'hui, derrière vos costumes bien soignés et derrière vos cravates signées, réclamez à cor et à cri votre part du gâteau ? Vous qui voulez désormais cueillir le fruit d'un arbre que vous n'avez pas planté ? Où étiez-vous quand j'avais faim, quand le froid me pinçait les veines et que les miens se cachaient pour pleurer leur détresse? Je n'étais pas seul à souffrir en silence; des jeunes comme moi souffraient et souffrent encore de votre autisme. Nous ne demandons pas l'aumône; nous voulons travailler; nous avons des bras et une tête. Elle est quelquefois plus pleine que la vôtre. Aujourd'hui, le peuple a marché comme un seul homme pour arracher sa liberté longtemps confisquée, son amour-propre bafoué et ses droits légitimes spoliés. Ne lui volez pas sa révolution; elle n'est pas la vôtre ! Je me suis immolé par le feu, c'était le feu de l'injustice, de la détresse, de la souffrance pour que les faibles gens retrouvent la dignité. Je les salue bien bas pour leur courage et leur résistance face au feu traître d'un pouvoir criminel. Quant aux autres, ceux que je vois d'ici, avec des vestes réversibles, vous les reconnaîtrez, ils parlent souvent, comme s'ils cherchaient à se justifier. Nous n'avons que faire de vos règlements de comptes, ni de vos querelles personnelles. Vos débats m'ennuient et votre opportunisme me donne l'urticaire. Des solutions, vous en avez de bien belles à présent et vos théories, désormais exposées à tout coin de rue, me barbent. J'ai quitté ce monde tout en aimant la vie. Qu'ai-je vécu pour la détester ? Je l'ai fait pour tous ces jeunes démunis qui, demain, allumeront une bougie à ma mémoire. Chaque étincelle de mon corps est une étoile pour guider les malheureux et les opprimés. Mon âme est saine et veille sur eux ! Tout comme l'âme pure et innocente de tous les martyrs. Que ceux-ci me pardonnent ! Mais aux décideurs aujourd'hui, pleins de bonnes intentions, je dis : attention, rien ne sera plus jamais comme avant car l'histoire, oui, l'histoire ne pardonne jamais… Adieu ma Tunisie que j'aimais tant, prends soin de t… ». La lettre se termine subitement comme si le feu l'avait entamée… Je n'ai pas le temps de la relire, même si je la porte toujours sur moi mais l'odeur de brûlé imprègne ma chemise et m'imprègnera longtemps encore.