Par Bourguiba Ben Rejeb M. Hmida Ben Romdhane a donc eu la lucidité de commencer son séjour à la tête de La Presse par un mea-culpa. La démarche est courageuse, elle était aussi nécessaire au moins pour sauver un des instruments de la communication publique dans le pays. D'autres suivront, ou ne suivront pas, mais l'occasion est fournie pour relancer des machines fourbues par des pratiques anciennes dont il faudra un jour faire l'inventaire. Le mea-culpa de M. Hmida Ben Romdhane se veut collectif pour l'ensemble de l'institution, manière de dire probablement que nous parlons de tout l'héritage devenu subitement pesant et en marge de l'histoire. Nous sommes nombreux à savoir que M. Hmida Ben Romdhane n'est pas le plus à blâmer, mais il est urgent de patienter pour les inventaires circonstanciés. Pour continuer à croire dans la rédemption, il va surtout devoir mieux comprendre pour ne pas répéter les mêmes erreurs. Il faut d'abord rappeler que La Presse n'est pas, histoire oblige, un journal comme les autres. Il était admis qu'un journal appartenant à l'Etat fasse de la propagande pour l'Etat. On a plus que souvent oublié que l'Etat en question est la propriété du citoyen. En bonne logique, sa stratégie de communication devait consister à porter la voix du citoyen aux décideurs politiques et économiques, et pas l'inverse. Ainsi, proposer un supplément spécial sur un congrès squatté par l'ancienne régente de Carthage comme on dit maintenant est un exemple de ce qu'il ne faut plus faire. La leçon est claire et le nouveau directeur gagnerait à la rappeler à tous ceux qu'il a la charge aujourd'hui d'encadrer dans leur mission de salut public. En ce sens, la chirurgie en cours devrait s'interdire la pratique du clonage. On n'enseigne malheureusement pas cela, pas encore, dans les écoles de journalisme. En clair, la langue dite de bois ne fait pas avancer la chose publique. Tout récemment, des jeunes ont fait la démonstration que changer le monde se faisait surtout en changeant de langage, et de relais pour faire parvenir leurs discours. La révolution à la tunisienne, c'est aussi ça, en dépit des communicateurs bien payés mis au service de la dictature. L'espoir est venu de là, compte non tenu du désespoir de quelques chevaux de retour qui croient reprendre la main en clonant des discours de circonstance. Juste un témoignage, pour replacer les idées. Un ancien patron du journal La Presse était un de mes amis de classe. Il arrivait que l'on puisse polémiquer au sujet des pratiques journalistiques. Au cours de l'une de ces joutes pour le principe, je lui ai suggéré de tenter une ouverture sur le dialogue social qui pouvait ne relever que de la vie quotidienne. Sa réponse fut prémonitoire : «Tu sembles être resté un intellectuel optimiste. Moi je suis résolument pessimiste». Dans l'exercice de ses fonctions à la tête du journal, il avait compris qu'il n'y avait rien à espérer du régime qu'il servait pourtant. Maintenant qu'il n'est plus de ce monde, la discussion est suspendue. Seule la révolution pouvait donner un lieu d'optimisme, et on ne refait pas l'histoire. Dans la foule des jeunes, quelqu'un a brandi un papier disant «yes, we can». La formule a fait mouche, chez nous aussi. En effet, nous pouvons ensemble, à condition de lever l'ukase populaire, paradoxe des temps, qui pèse sur le métier de journaliste : le journaliste serait, selon la formule expéditive bien connue, un menteur. Il est salutaire d'avouer maintenant que ce fut le cas et qu'il est temps de changer. Mais il va falloir en apporter la preuve au quotidien. Les journalistes de La Presse sont suspects, mais comment nier les évidences anciennes. Sont-ils coupables pour autant ? Nous sommes à un moment de rédemption, délicat mais probablement surmontable. Là aussi, l'espoir doit être permis. Nous en reparlerons, peut-être.