Par Sadok Belaid* Il est surprenant, décevant, que la dissolution de l'ancien parti au pouvoir n'ait pas été à ce jour décidée, ni même inscrite sur l'agenda du gouvernement. Il est vrai que ce dernier a pris un certain nombre de décisions visant les principaux dirigeants de ce parti, son personnel administratif, ses finances et les biens mobiliers et immobiliers dont il avait l'usage. Cependant, il est clair que ces mesures, quelle qu'en soit l'ampleur, ne peuvent être considérées que comme une sorte de «mesures conservatoires» prises dans l'attente de l'intervention indispensable d'une sanction politique qui doit frapper les abus de pouvoir, les exactions et les injustices que le RCD a commises ou dont il s'est fait le complice ou, plus simplement, l'instrument. En aucun cas, ces mesures ne peuvent remplacer la décision formelle et définitive de dissolution de ce parti, réclamée par tout le peuple tunisien. Certains semblent, cependant, s'opposer à cette décision au motif que ce serait là jeter l'exclusive sur les nombreux adhérents et militants «honnêtes» de ce parti et que, la dissolution serait en contradiction avec les principes démocratiques dont on demande par ailleurs, l'application. Ce raisonnement doit être rejeté. D'abord, il est unanimement admis que le RCD est en grande partie responsable de la corruption de l'ancien régime et qu'il a scandaleusement profité du pouvoir instauré il y a près de 23 ans. Le RCD a commis toutes sortes d'illégalités graves et d'innombrables abus de pouvoir et il a soutenu ou couvert les très nombreux crimes et malversations commis par son chef et par sa clique mafieuse. Le RCD est à la fois l'auteur, le coauteur et le complice de tous ces forfaits. Il doit en assumer la pleine responsabilité. En outre, il serait difficile de faire admettre aux millions de Tunisiens qui ont souffert pendant des dizaines d'années de la mauvaise gestion du pays par le RCD que ce dernier joue toujours «gagnant-gagnant», c'est-à-dire qu'il doit profiter abusivement du pouvoir tout le temps où il s'est trouvé à la tête du pays, mais qu'à la suite de la chute du régime, il doit être dispensé de toute responsabilité pour les fautes qu'il a commises antérieurement. De même et en regardant vers le futur, il serait inadmissible qu'au lendemain du triomphe de la Révolution, on continue de faire profiter le RCD de la scandaleuse «rente de parti unique» que, par le passé, il a constituée au profit de sa «nomenklatura» et au détriment de tous les autres partis politiques et de la population tunisienne, dans son ensemble. La construction de la nouvelle démocratie exige donc la dissolution du RCD comme étant la condition incontournable pour mettre toutes les formations politiques sur un strict pied d'égalité devant le nouveau jeu démocratique et de les faire bénéficier des mêmes chances de gagner loyalement les suffrages des électeurs. Il faut, enfin, noter que loin de jeter l'exclusive sur quiconque, la dissolution du RCD n'interdit nullement que les militants «honnêtes» de ce parti se concertent pour former un nouveau parti sur des bases plus démocratiques et plus transparentes et pour assumer pleinement leur citoyenneté dans le pays. Plus, la dissolution permet à ces militants sincères et «propres» de se débarrasser de ceux qui ont jeté l'opprobre sur leur parti et desservi la cause pour laquelle il a été créé. Certains – même dans les milieux officiels — estiment qu'il serait difficile de trouver la base légale pour décider la dissolution du RCD. C'est faux. Le droit tunisien (loi organique n° 1988/32 du 3 mai 1988) a prévu la possibilité de dissolution des partis politiques et il l'a organisée en détail. La loi organique de 1988 (art. 18) a prévu une première sanction, correspondant aux cas d'urgence. Il s'agit d'une procédure de caractère administratif et immédiat. Dans de telles circonstances, le ministre de l'Intérieur est habilité par la loi à prendre un arrêté «motivé» visant à suspendre immédiatement les activités dudit parti et à mettre sous séquestre ses biens immobiliers et mobiliers ainsi que ses finances pour une durée d'un mois, pouvant être prolongée d'un deuxième mois (avec l'accord du juge des référés). Dans ces conditions, on ne comprend pas pourquoi le ministre de l'intérieur n'a pas encore assumé les responsabilités qui lui sont ainsi expressément assignées par la loi. La loi de 1988 (article 19) prévoit ensuite la possibilité de dissolution pure et simple du parti politique qui a enfreint gravement la loi. Mais, ici, elle a pris la précaution d'attribuer ce pouvoir à un juge, i. e. le Tribunal de première instance de Tunis. Dans ce cas, le ministre de l'Intérieur doit ouvrir une instance devant cette juridiction. La loi a entouré cette procédure de toutes les garanties de bonne justice (Appel, Cassation, etc.). Toutes les conditions se trouvent donc réunies pour que le ministre de l'Intérieur exerce les compétences qui lui sont conférées par la loi dans ce domaine. Pour mettre en place les institutions et les bonnes traditions démocratiques que le pays appelle de tous ses vœux, il devient important et urgent que le gouvernement assume effectivement toutes les responsabilités qui lui sont dévolues par la loi. (*Ancien doyen de la faculté de Droit de Tunis.)