Il y a sans doute plus d'une manière d'écrire l'histoire de l'“assida”, ce succulent mets que l'on prépare généralement à l'occasion du Mouled et qui a évolué au fil du temps dans sa préparation, de la semoule au pin d'Alep, pour connaître de nouvelles variétés aux fruits secs. Quand la presse satirique écrit l'histoire Le raffinement ayant touché jusqu'aux symboles des fêtes religieuses. Il y eut ainsi dans les années 50 un numéro spécial édité par une revue à l'occasion de cette fête religieuse. Il portait le titre d'“Al assida”. Le directeur et rédacteur se donnait pour nom «Professeur Boukerch». L'abonnement est fixé à vie contre 25 pièces de «maqroudh». Le prix du numéro est l'équivalent de quatre bananes. Le tout, bien entendu, ironiquement déterminé car cette revue versait dans la satire et ne se prenait guère au sérieux. Le signataire d'un des articles a choisi pour pseudonyme «El Assad», celui qui prépare l'«assida». Il dénombre plusieurs genres de ce délicieux mets : - L'assida arabe - L'assida turque - L'assida à la semoule - L'assida fermentée On sait malgré tout que l'«assida» se décline sous plusieurs genres : à la farine, au miel, au beurre et même à la «bsissa». Notre bonhomme en donne en tout cas douze genres, dont certains de sa propre imagination, soit au nombre des mois de l'année, écrit-il. Un autre article de cette revue pittoresque est signé «Al Jiaâne» (Le mort de faim). Cheikh Jahfani chanté et célébré On connaît également la chanson de Salah Khémissi écrite par Houssine Jaziri Assida fi kouz où il fait connaître les us et coutumes d'un certain «Cheikh Jahfani», un des signataires de ce numéro spécial qui fit grand bruit en son temps. Un personnage entré donc dans la légende. Houssine Jaziri a écrit beaucoup de textes pour Salah Khémissi et Mohamed Haddad. Outre l'Assida il a traité dans ses textes de chansons du mois saint de Ramadan, de l'Aïd et des repas qu'on prépare à ces occasions. Des repas gargantuesques décrits de façon drôle et amusante. Il écrivit aussi sur la fête de la «Achoura» narrant le plaisir que prennent les enfants à allumer de gros foyers de feu. Et c'est à qui mieux saura provoquer le plus grand feu au pétrole et aux branches d'arbre. A l'occasion de la «Achoura», les femmes et les jeunes filles se livrent à un maquillage particulier avec une noirceur dominante pour aller au cimetière se recueillir sur leurs chers. Le matin, ce sont les dames qui se rendent aux cimetières. Le tour des hommes viendra dans l'après-midi. Houssine Jaziri a été le directeur du journal En-Nadim, dont le premier numéro est paru le samedi 12 février 1921, le siège de ce journal satirique social se situait au 171, rue Bab Souika. L'exemplaire se vendait alors à 25 centimes. Parmi les rubriques fixes, on pouvait en trouver une intitulée «Affaires», où Jaziri relatait des échos de la rue de manière fort amusante. Il qualifiait ainsi de «maudite tentation» le phénomène de la corruption qu'il s'évertua longtemps à combattre. Il épingla également la manie pernicieuse propre aux jeunes de son époque de discuter entre eux en langue française : «Lorsque j'écoute le français prononcé par des gens de l'Hexagone, j'éprouve un plaisir immense à suivre la conservation sans pourtant y comprendre grand-chose, raconte-t-il. La tonalité, la musique de l'élocution, la douceur des échanges : tout me transporte d'aise. Malheureusement, cette même langue me rebute lorsqu'elle tombe sous la bouche de Tunisiens qui croient faire l'intéressant en discutant entre eux dans la langue de Molière. Celle-ci souffre alors, se rebelle et maudit le jour où ces personnes avaient appris le peu qu'ils trouvent pédant d'exposer au vu et au su de tout le monde», écrit Houssine Jaziri. Il faut dire que la presse satirique avait joué en ce temps-là un rôle vital dans l'éducation des Tunisiens. Par le verbe et par la caricature, les auteurs de ces articles cherchaient à lutter contre certains phénomènes sociaux rétrogrades. Elle connut alors son apogée d'autant que la satire et les sous-entendus pouvaient masquer une critique muette, mais guère résignée, du protectorat.