Par Saïd BEN KRAIEM Premier partenaire économique de la Tunisie, l'Union européenne a toujours gardé des relations économiques privilégiées mais à sens unique avec ce pays dont les ressources naturelles sont limitées. Premier pays de la rive sud de la Méditerranée à avoir signé un accord de partenariat avec l'Union européenne, la Tunisie a toujours affiché sa volonté de jeter les bases d'un partenariat économique gagnant-gagnant. Hélas, ce partenariat s'est limité aux simples échanges commerciaux et aux investissements directs étrangers européens qui ne cessent de se développer d'une année à l'autre. La libre circulation des marchandises imposée par l'Europe à ce petit pays a largement contribué à handicaper la modernisation du tissu industriel tunisien frappé de plein fouet d'une concurrence rude pratiquée par les grandes firmes européennes. Résultat : une croissance économique modeste et une accélération continue du taux de chômage, notamment parmi les diplômés du supérieur. Car, l'Europe égoïste ne permet que la libre circulation des marchandises tout en écartant la libre circulation des personnes. Pis encore, nos partenaires n'hésitent pas à encourager une migration ciblée, celle des cerveaux, vidant ainsi le pays de ses compétences. Ainsi, selon cette logique impérialiste, la Tunisie est devenue au fil des ans «un souk» des marchandises en provenance de l'Europe. L'Etat tunisien, sous le régime corrompu du président déchu, joue le rôle de gendarme méditerranéen pour surveiller les frontières de l'Europe et empêcher les flux migratoires, un phénomène qui embarrasse désormais nos voisins européens. Au lieu d'aider la Tunisie à trouver des solutions permanentes, notamment à travers un développement socioéconomique soutenu et permanent, l'Europe a préféré doter son gendarme Ben Ali des moyens lui permettant de réprimer toute une population en quête de dignité, de liberté et de démocratie. Des valeurs qui fondent l'Europe. Une Europe qui ne cesse de nous donner des leçons en matière de démocratie et de droits de l'Homme mais qui a en revanche toujours soutenu et défendu le régime totalitaire de Ben Ali. La France va jusqu'à proposer son savoir-faire pour aider le président déchu à réprimer la révolution des jeunes. Par ailleurs, l'Union européenne qui dispose de tous les moyens de pression sur le régime de Ben Ali n'a rien fait pour empêcher la dictature, la répression et l'atteinte aux droits de l'Homme. L'Europe sait pertinemment que Ben Ali est un dictateur, pourtant elle continue à le soutenir par tous les moyens, notamment économiques et financiers. Les 5.000 personnes qui ont débarqué récemment sur le territoire italien ont obligé les autorités italiennes à déclarer l'état d'urgence humanitaire et à proposer d'envoyer à la Tunisie «leur savoir-faire», proposition que le gouvernement tunisien a immédiatement rejetée en invoquant son refus face à toute ingérence étrangère. Cela témoigne que les solutions «sécuritaires» adoptées par la Tunisie de Ben Ali et encouragées par l'Europe n'ont pas été efficaces. Le départ de Ben Ali a inondé l'Europe de flux migratoires sans pareil. Afin d'empêcher l'émigration illégale depuis la Tunisie, l'Italie propose «la mise à la disposition de l'armée tunisienne d'équipements de haute technologie, d'un réseau de radars pour le monitorage et de vedettes, équipements dont le fonctionnement sera assuré par les Tunisiens». Encore une fois, l'Europe ne semble pas disposée à trouver les vraies solutions. Sur un autre plan, si l'Europe a décidé de geler les avoirs de Ben Ali et de ses proches et d'offrir l'aide immédiate pour préparer le processus des élections et relancer les activités économiques, les priorités de la politique de voisinage de l'Union doivent être redéfinies. Les Européens qui ont soutenu le régime de Ben Ali savent bien que l'enjeu de l'évolution tunisienne pour l'Europe est considérable car le Maghreb arabe est historiquement fortement lié à l'Europe. Une rive sud de la Méditerranée prospère, démocratique et stable est l'idéal pour une Europe qui a tout intérêt à favoriser le développement tous azimuts dans cette région. L'Europe désireuse de mener à bien sa politique de voisinage en Méditerranée est appelée plus que jamais à rectifier le tir en se débarrassant de sa duplicité à la faveur d'un partenariat solide et durable avec les peuples de la rive sud de la Méditerranée. Le mea culpa de l'Europe doit impérativement se traduire, entre autres, par l'octroi à la Tunisie du statut de partenaire avancé.