Par Mohamed Sadok LEJRI * D'aucuns ne lésinent pas aujourd'hui sur les dithyrambes et les cantiques consacrés à la Révolution tunisienne et ses bienfaits. Ou dois-je dire à la révolution et ses conséquences salutaires. Chanter les louanges des révolutionnaires, et ce, dans une atmosphère d'euphorie est tout à fait compréhensible et recommandable voire imposable. Ne serait-ce que pour rendre hommage aux jeunes tombés sous les balles des tueurs de notre «Al Capone» d'ex-président. Depuis le 14 janvier 2011, on ne cesse de décerner des louanges et de nous gargariser de nos exploits, à tel point que les problèmes relatifs à l'état constitutionnel et politique de la Tunisie, et au futur de celle-ci, sont relégués au second plan. Aussi, cette manière d'exalter la grandeur des actions d'éclat récentes est susceptible de devenir bassinante, surtout si cela se produit au détriment de l'essentiel : le devenir de la nation. Tout cela est sans grande gravité et est au pire inopportun. Mais ce qui provoque l'indignation, c'est de voir des thuriféraires de l'ancien régime revêtir en un temps record le manteau de la révolution. Ces derniers s'invitent sur les plateaux de télévisions locales et étrangères pour se répandre sans la moindre décence en louanges et compliments. Mieux, pour vilipender les Ben Ali et consorts. Un de ces thuriféraires de Ben Ali, qui certes ne prend pas part à cette épreuve d'expressions outrageantes et ne dispute pas le prix panégyrique, n'a pas hésité après la chute du tyran à rédiger une tribune pour le quotidien La Presse, se proposant de créer une nouvelle organisation politique et à prendre le chemin d'un plateau d'une chaîne d'information française (France 24) pour s'exprimer sur l'après-Ben Ali. En effet, cette chaîne l'avait convié à participer à un débat sur la Tunisie le jeudi 17 février 2011, en compagnie de deux autres Tunisiens et d'un Français d'origine algérienne. Ce thuriféraire dénommé Mezri Haddad a manifesté sa pensée en passant sous silence sa carrière de propagandiste de Ben Ali, comme si de rien n'était. Le débat aurait pu s'achever sans que nul ne l'interpelle sur son passé de «haut-parleur» du régime du président déchu. Sans que nul ne l'interpelle sur son passé de «Borhen Bsaïss version francophone», même si ce dernier est plus jeune lui. Le débat aurait pu s'achever ainsi si ce n'est la demande d'explication qui lui a été adressée à la fin du débat. En effet, une jeune Tunisienne de 26 ans dénommée Amira Yahyaoui, blogueuse et militante, a «osé» exprimer ses doutes sur la crédibilité de Mezri Haddad. Elle lui a conseillé de changer le nom de sa nouvelle organisation «Mouvement néo-bourguibiste» et de la rebaptiser «Mouvement néo-benaliste». Car, «Mouvement néo-bourguibiste» ne reflète nullement son parcours. Pour répondre à l'interpellation tout à fait légitime d'Amira Yahyaoui, M. Haddad n'a pas trouvé mieux que de faire son propre éloge dans un premier temps, puis a sorti cet argument d'autorité qui consiste à rabaisser les mérites des propos de son interlocuteur sous prétexte qu'il n'et pas assez avancé en âge. Pour Mezri Haddad, la petite Amira n'avait pas à faire jaillir en direct sur France 24, une vérité qui le décrédibilise encore plus qu'il ne l'est: «Il faut avoir la culotte propre» lui a-t-il lancé avant que quelqu'un ne le désigne comme coupable. Eh oui ! Les jeunes dont l'âge se situe entre vingt et trente ans (et dont je fais partie), qui ont fait la révolution, doivent avoir «la culotte propre» avant de s'adresser à un thuriféraire de l'ancien régime. Figurez-vous si Mezri, que nous les jeunes sommes plus bourguibistes que vous. Nous savons pertinemment que Bourguiba était un homme «dont l'envergure et l'ambition dépassent la dimension de son pays» (Charles de Gaulle). Grâce à internet, sa voix résonne encore dans nos oreilles. Sa pensée humaniste qui est toujours d'une déconcertante actualité suscite encore notre intérêt et nous émeut. Beaucoup de jeunes Tunisiens baignent dans l'abrutissement du football et la bêtise de l'obscurantisme religieux, certes. Mais c'est bien à cause des intellectuels comme vous (entre autres), qui ont servi et défendu bec et ongles le régime de Ben Ali et la médiocrité qu'il n'a cessé de propager. Alors M. Haddad, de grâce, cessez de mépriser la jeunesse tunisienne, les jeunes, qui portent peut-être une culotte sale, ont en revanche les mains propres. Cessez de vous ériger en porte-parole de l'héritage bourguibien. Haddad ! Vous n'êtes pas Bourguiba, vous êtes sa rature! * Etudiant