L'annonce a fait le tour du Tout -Tunis. Trois grands noms de la scène artistique tunisienne se sont donné rendez-vous à «Danser à Tunis», le festival qu'organise Raja Ben Ammar à Mad'art : Imène Smaoui et Kaïs Rostom dans une performance-improvisation, précédés d'une performance vocale de Alia Sallami; le tout sur un arrière-fond de révolution tunisienne. Le public était nombreux, malgré les temps difficiles et le sentiment d'insécurité qui commence à habiter chacun de nous. Mais il fallait bien sortir de son trou, même si par moments le cœur n'y est pas. Des artistes étaient aussi présents. Il est plus que jamais temps de se serrer les coudes et de se soutenir mutuellement, quand l'un d'entre eux prend son courage à deux mains et décide, en cette période pas toujours propice et difficile, de monter sur scène ou d'organiser un festival. Ce n'est pas toujours évident, mais il est nécessaire de le faire. C'est leur manière de soutenir la révolution et prendre la parole, surtout quand d'autres voix s'élèvent pour dire «non, ce n'est pas le moment de danser et de chanter». Alia Sallami, Kaïs Rostom et Imène Smaoui, ces mêmes artistes qui étaient dans la rue à manifester le 14 janvier, ont eux aussi leur mot à dire: une parole citoyenne, une prise de parole artistique. La révolution, selon Alia Sallami, soprano tunisienne de son état, prend la forme sonore. Et c'est dans la pénombre d'un petit studio de danse de l'espace Mad'art qu'elle chuchote dans un micro des petits sons. «Shuuuuut», «silence», «taisez-vous» que Alia lance et qui nous reviennent sous forme d'écho, nous rappelant l'univers sonore de notre éducation, de notre quotidien d'avant la révolution. Ces mêmes mots semblent se briser sur le mur du silence pour ressortir sous une autre forme, celle des slogans de la rue qui bouillonnaient le 14 janvier : «à bas la dictature», «liberté et dignité»…. Avec la voix de Alia Sallami, tout l'espace se remplit, les sons affluent de partout comme nous l'avons tous vécu. Une voix solitaire se multiplie et devient la voix de tous, la voix du peuple. Le passage de l'univers de Alia Sallami, un univers totalement vocal, vers celui d'Imène Smaoui et de Kaïs Rostom, était d'un naturel déroutant ! Cette chorégraphe, qui s'est lancée dans une aventure incertaine avec le scénographe musicien, nous a entraînés de plain-pied dans un monde personnel. Lors d'une rencontre qui s'est faite un jour du mois de décembre 2010, ils se sont lancé un défi : mettre en place une forme qui sera totalement improvisée. Le rendez- vous est fixé pour le 1er mars, l'heure et le lieu, mais l'action était inconnue. Que vont-ils faire, une fois tous les deux sur scène? Mais sont-ils les mêmes depuis le 14 janvier? Certainement pas ! Entre Kaïs et Imène, c'est une alchimie qui opère. La fluidité d'une gestuelle qu'on connaissait déjà de la danseuse est mixée, suivie, entraînée, voire inspirée des improvisations de Rostom, le percussionniste. Le rythme s'accélère par moments, s'étale à d'autres, et le corps de la danseuse épouse des formes différentes et des postures évocatrices de liesse, de détresse, d'inquiétude et d'envol. Aujourd'hui, bien que la rue ne soit pas à l'écoute de l'artistique, aujourd'hui que nous sommes complètement submergés par tant de violence, que le discours politique politicard est omniprésent, même dans notre sommeil, nous avons plus que jamais besoin de nos artistes pour parler d'émotion et de sentiments pour réfléchir sur nos sensations et pour apprendre à les sublimer. Pourrions-nous, un de ces jours, célébrer vraiment et joyeusement notre liberté?