Vers 14h30, près du ministère du Tourisme, ils commençaient à affluer par petits groupes. Ce sont les membres de l'Union tunisienne de l'industrie, du commerce et de l'artisanat (Utica) qui ont décidé, via leurs chambres syndicales, d'organiser, hier, une marche de sensibilisation. Son but est d'appeler au retour au travail et au sauvetage du pays d'une crise économique imminente qui cause la perte d'un grand nombre d'emplois et qui met des bâtons dans les roues de la production et de l'exportation. Ils se considèrent comme une force équilibrante avec celle de l'Ugtt (Union générale des travailleurs tunisiens). Les premiers à être sur place sont les membres de la chambre syndicale des cliniques privées. Nabil Ouni, directeur administratif dans l'une d'elles nous confie que les indicateurs de l'économie sont au plus bas et qu'il faut en urgence retourner travailler, pour le bien du pays. «Le Tunisien a désormais peur du lendemain et vit au jour le jour. Il ne sait pas qui sont ses ennemis et qui est en train de lui mentir», ajoute-t-il. En ce qui concerne le secteur de la santé, c'est un secteur sensible, comme le qualifie monsieur Ouni. La clinique où il travaille compte 500 employés et a perdu beaucoup de ses clients, principalement des étrangers. Malgré cela, l'élan de solidarité persiste et cette clinique a décidé d'envoyer, samedi prochain, une caravane médicale permanente vers la frontière tuniso-libyenne. Justement, les Libyens représentent à eux seuls 25% du marché. C'est ce que nous confirme Tarek Mazigh, de la même chambre syndicale. Selon lui, «politiquement parlant, la plupart des Tunisiens sont au centre, ni à gauche, ni à droite et ont des aspirations de modernité, d'équilibre et de bien-être social. C'est pour cela qu'il faut retourner travailler, pour sauvegarder les acquis de la révolution». Dès son arrivée au point de rencontre du rassemblement, Hammadi Ben Sédrine, homme d'affaires dans l'alimentaire et coordinateur général à l'Utica commence par s'adresser à la presse. «Nous ne nous sommes pas exprimés auparavant mais aujourd'hui, nous revendiquons le retour au calme et à la vie normale. Nous voulons le retour au travail, à la production, à l'exportation, au recrutement et à l'investissement en général», dit-il fermement. Et d'ajouter : «Il faut être vigilant face à ceux qui sèment le chaos et mettent en danger la révolution et la démocratie». En effet, les actions de violence du week-end dernier semblent avoir effarouché ces manifestants qui insistent sur l'importance de la sécurité. A les entendre, il y a de quoi, surtout quand il s'agit d'un secteur comme le tourisme. Un peu plus loin, Hammadi Cherif, de la Fédération tunisienne des agences de voyages explique la situation au micro d'une chaîne de télévision. «La plupart des pays européens avaient enlevé leurs restrictions de vols vers la Tunisie. De notre côté, nous nous sommes engagés à payer les salariés pour les mois de janvier et de février. Mais avec ce qui s'est passé vendredi et samedi, de nouvelles restrictions ont été annoncées et si cela continue, il serait difficile pour nous de régler les salaires de mars. Nous ne pouvons plus continuer sans sécurité» admet-il. Une demi-heure plus tard, ils sont des dizaines de tous les secteurs de l'industrie, du commerce et de l'artisanat à rejoindre la manifestation. Panorama de banderoles, en arabe, en français et en anglais. De quoi rappeler que le marché tunisien est ce qu'il est aussi par l'ouverture à l'étranger. «La karama bidoun aamal» (pas de dignité sans travail), «back to work before it's too late» (retour au travail avant qu'il ne soit trop tard) ou encore «Tunisie réveille toi, l'économie est au plus bas», sont des slogans parmi d'autres qu'ils sont venus brandir. «Tous avec la révolution, avec l'effort et le travail» est celui qu'a choisi Arbi Wali, propriétaire d'une usine exportatrice de chaussures. «Il ne faut pas oublier que la Tunisie a des dettes à l'étranger», commence-t-il par rappeler avant d'expliquer que c'est l'investissement qui en prendra un coup. Il explique également que les jeunes ne sont pas attirés par ce secteur «qui souffre d'une crise mondiale, il faut l'admettre», dit-il, «mais qui offre en même temps des possibilités d'emploi après formation». Quant à Ridha Bettaieb, commerçant, il prône tout simplement de «travailler et de laisser la politique aux politiciens» et qu'il faut «reprendre l'activité économique, dans un contexte de sécurité et de justice». Avant de suivre le flux des manifestants dans l'avenue Mohamed V, un agriculteur a tenu à s'exprimer en disant qu'il est urgent de veiller à la continuité de la production. «L'agriculture est un secteur fragile, il faut assurer la solidité du marché intérieur et de l'exportation grâce à une commercialisation instantanée des produits. Il faut œuvrer sur deux plans : le travail et la sécurité», affirme-t-il. Tout au long de cette artère de Tunis et au vu des curieux passants, les manifestants se sont relayés les banderoles en criant tantôt «travail, travail», tantôt «Tounes horra wel moukhareb ala barra» (Tunisie libre et casseur dehors). Avant de rebrousser chemin, les membres des chambres syndicales de l'Utica ont entonné en chœur l'hymne national. Dans pareilles circonstances, le chanteur français Henri Salvador a tort…Car Le travail, c'est vraiment la santé! Celle de la Tunisie et des Tunisiens.