Par Zeïneb Ben Saïd CHERNI(*) Ce texte qui rend compte du passé et qui a été écrit au mois de janvier appelle à une amnistie générale susceptible d'effacer, du moins juridiquement, une période d'horreurs et de souffrances d'anciens détenus politiques. Il restera toujours actuel pour deux raisons‑: il rappelle les souffrances des détenus politiques et, par la même, le caractère hideux du régime qui a dominé la Tunisie pendant plus d'un demi siècle et suggère, de la sorte, la consécration de la conjonction des intérêts politiques universalisables, celle d'une opposition politique réprimée en vue de défendre avec acharnement les libertés humaines. Le mouvement social de contestation, voire aussi d'insurrection pour un changement radical du système politique, a été, pour tous les anciens détenus politiques, le moment de l'éclosion d'espoirs inouïs et de réactivation de souffrances latentes incrustées à jamais dans leur psychisme. L'appel à l'amnistie est une expression politique qui vise la rupture avec les monstruosités de la torture et de l'incarcération dont l'expression la plus odieuse a été exercée sur plusieurs militants de l'opposition dont feu Ahmed Ben Othman (pour les hommes) et Amel Ben Aba pour les femmes de perspectives Amel-Attounsi. Le cas Ben Othman a traversé des contrées internationales et a suscité la fondation de la section d'Amnisty International en France, pour laquelle il a consacré le restant de sa vie. La réactivation de la souffrance politique causée par la répression la plus farouche qu'ont subie les militants de "Perspectives", les militants du Poct dirigé par Hamma Hammami, tout comme les militants de la Nahdha et bien d'autres, rappelle la barbarie d'une répression qui s'incruste dans la chair des détenus, elle les humilie et les mutile; c'est une atteinte non seulement au droit les plus élémentaire de l'homme‑: le droit à la vie, mais de surcroît c'est aussi une agression à leurs droits les plus nobles ceux qui se rapportent à la participation à la gestion des affaires de la cité. La torture, la réclusion et la marginalisation assignent une position double‑: celle du refus de l'ordre politique dictatorial, violent et monolithique, et celle du ralliement avec l'autre politique différent de nous, par ses tactiques et proche par ses idéaux de liberté, et il nous ressemble. La chair comme l'admettent certains philosophes, n'est pas le corps mais c'est cette mémoire psycho-physiologique de ce que l'on subit par une instance extérieure, par l'autre; elle est le réceptacle mnémonique de nos souffrances. C'est elle qui suscite notre révolte et exige notre démarcation à l'égard de ce que l'on abhorre. Elle est aussi ce par quoi on se rapproche de l'ater égo politique, en étant aussi affecté par ses souffrances, ou par ses idéaux de justice. Il nous ressemble, tout en étant différent de nous. C'est dans l'altération propre de nos étants et par elle que la proximité entre les diverses tendances politiques, de cette Tunisie de la diversité, est possible. L'étrange émotion suscitée par l'événement libérateur de cette révolution, non encore accomplie, suscite l'émergence du nouveau, elle rapproche de tous ceux qui ont souffert et déploie une intersubjectivité du refus de l'horreur, une disposition vers l'autre politique avec lequel on doit coexister parce qu'il doit stigmatiser la violence de toute nature et surtout corporelle et consacrer l'acceptation de ce qui sépare et de ce qui unit les acteurs politiques réprimés à savoir liberté brisée, étouffée et refoulée dans les lieux de déportation et les contrées marginales de la société. La tolérance est le premier pas vers la démocratie. Celui qui veut faire prévaloir ses options politiques par la terreur et l'agression n'a pas sa place dans ce radieux devenir que les esprits libres sont en train d'édifier. C'est au nom de cette légitimité pour la vie et la citoyenneté politique que le consensus devra prévaloir. S'accepter mutuellement et dialoguer malgré les différences est la condition de la réussite de cette transition difficile vers le changement politique. Brandir les valeurs humaines ou "les intérêts universalisables" comme la liberté, le droit d'organisation politique, d'expression, d'égalité et de respect de l'humain en chacun, fut-il homme ou femme, mais aussi mettre de côté les restrictions partisanes, sont les conditions nécessaires à la viabilité de ce processus salvateur pour qu'il aboutisse et pour qu'il se stabilise, mais aussi mettre de côté les restrictions partisanes sont les conditions nécessaires à la viabilité de ce processus salvateur pour qu'il aboutisse et pour qu'il se stabilise. (* Professeur de philo, ancienne militante «Perspectives-Amel Tounsi»)