La tradition voulait que, lors de la nuit nuptiale, les jeunes mariés trouvent sur une étagère accrochée au- dessus du lit conjugal un bol de fruits secs trempés dans du miel qu'ils se partageaient pendant les premières semaines de leur vie conjugale; il était censé aiguiser leur désir, stimuler leur sensualité et adoucir leur vie de couple. La s'hifet laâçal (petit bol de miel, c'est comme ça qu'on appelait ce viatique) une fois consommée donnait la preuve que les choses se sont bien passées sur le plan de la séduction, car il fallait manger ensemble, dans l'intimité, des produits miellés ayant une forte charge symbolique. Le miel, qui était, avec le lait et le pain, une nourriture essentielle des hommes, avait pris une valeur divine dans beaucoup de religions. Premier édulcorant connu, il n'a jamais été détrôné ni par le sucre de canne ni par celui de la betterave, ni non plus par les nouveaux produits de synthèse dont certains sont deux mille fois plus sucrants que le sucre. Ayant longtemps servi comme remède et surtout comme conservateur naturel, le âçal n'a rien perdu de son attrait d'antan; au contraire, son prestige s'est renforcé au fil du temps; le manque d'usage l'a propulsé au sommet des mets les plus distingués. Comme la majorité des pays qui nous entourent, nous produisons de nombreuses variétés de miel en fonction des saisons, des fleurs butinées par les abeilles et des régions. Nous récoltons le miel pratiquement toute l'année : tout au début en janvier, nous recueillons la primeur, un miel issu des fleurs des plantes forestières. Il est dit de bruyère. Son pays est Korbous. C'est un miel qui n'est pas, de l'avis des connaisseurs, parmi les plus estimés. Il est suivi, en févirer, par le miel de romarin (klil). Le meilleur nous vient de Boussalem, dans le Nord-Ouest. C'est en mai que les variétés les plus singulières en saveur apparaissent. Nous avons alors celle aux fleurs d'oranger dont le terrain est la région de Nabeul et celle aux fleurs d'épices issue des champs de Korba et de ses alentours, fief des aromates en Tunisie. Juin et juillet sont des mois de grande abondance. Avec le miel de thym (zaâtar), couleur or, il est peut-être le plus apprécié des vieux connaisseurs et celui de marrube (om erroûbya), plante spontanée très conseillée dans la médecine populaire. Puis, d'autres espèces de ce que les spécialistes appellent «miel de montagne» qui diffèrent selon le goût et la qualité. Bien entendu, tous ces miels ne sont pas toujours exempts de tromperies. Alors comment, à l'achat, reconnaître un bon miel ? La couleur est insuffisante pour le prouver: celle-ci peut être presque blanche ou presque noire en passant par le blond, le roux et le brun. Tout dépend de l'origine florale du nectar, mais elle doit être uniforme. Un bon miel ne se cristallise pas au toucher, il s'étire en fils minces, c'est une preuve de qualité. Un miel qui se casse et retombe en gouttes est mauvais. Il peut avoir été mélangé ou même trafiqué. La saveur est également un critère important pour choisir un miel de qualité. Celle-ci, quoique obligatoirement douce, doit avoir un arrière-goût très légèrement amer, à peine perceptible. Pour les amateurs des produits forts, disons que plus un miel est foncé, plus son goût est prononcé. Achetons de préférence notre miel chez un apiculteur de confiance ou chez un marchand patenté; préférons un produit portant label et lisons bien les étiquettes pour nous assurer que notre achat est à 100% pur et naturel. Boudé pendant de longues années, le miel revient de loin, avec des emballages en verre, étiquetés avec soin où l'adresse du producteur est visible. C'est une assurance de bonne qualité. Si l'utilisation du miel dans les mets sucrés se raréfie vu son prix, il est par contre de plus en plus consommé le matin au petit-déjeuner en tartines, mélangé au beurre, ou parfois seul, ce qui est à notre sens la meilleure manière de le consommer. Bien sûr, si on est en vadrouille, rien ne vaut, pour une petite collation matinale, un morceau chaud de taboûna (galette traditionnelle) trempé dans du miel de la ruche d'à-côté, retrempé dans de l'huile vierge fruitée. C'est un nectar de jouvance et de longévité.