Oussama Mellouli, champion olympique et du monde du 1.500 m, porte-drapeau du sport tunisien, évoque la «révolution du jasmin» Dans son édition du vendredi 8 avril, le journal L'Equipe réserve une demi-page à notre champion olympique et du monde, une distinction dont peu de sportifs bénéficient. Qui nous rend fiers et qui nous apostrophe sur le maintien et la permanence de l'actuelle fédération de natation avec à sa tête un certain Ali Abbès. Un président de fédération qui a fait du lynchage médiatique du plus grand champion que la Tunisie ait enfanté son cheval de bataille. Hallucinant! Merci Mellouli. Cet été, aux Mondiaux de Shanghai (24-31 juillet), Oussama Mellouli, tenant du titre sur 1.500m, sera l'un des favoris des courses de demi-fond. Ce week-end, le nageur basé en Californie poursuit sa préparation au Grand Prix du Michigan (sur 100 m brasse, 100 m papillon et 400 m 4 nages). Premier champion olympique tunisien en natation (1.500 m en 2008), après une suspension de dix-huit mois pour un contrôle positif à un stimulant (1), et second médaillé d'or après l'athlète Mohamed Gammoudi (5.000 m en 1968), Mellouli (26 ans) évoque ce que va changer pour lui la révolution tunisienne. Qu'avez-vous ressenti à l'heure de la révolution? Une sensation unique. J'étais fier de mes racines, fier de ma Tunisie et de ses 10 millions d'habitants. On est le premier peuple à chasser un dictateur sans aucune aide extérieure ! Comment avez-vous vécu les événements depuis Los Angeles ? Au début, c'était très angoissant. J'étais tous les jours sur Skype avec la maison, mes parents, l'aîné de mes frères, Ons, et ma jeune sœur, Raouia. Avec le couvre-feu, ils étaient sur les nerfs. On ne savait pas comment ça allait se finir. Comment Ben Ali allait réagir. Et après, avec le gouvernement de transition, la réaction de l'armée, celle du peuple tunisien en général, on a tous été soulagés. Mais en tant que sportif emblématique du pays, vous deviez être dans les petits papiers du pouvoir ? Vous voulez dire que j'aurais reçu des avantages? Personnellement, non. Par exemple, lors des Jeux méditerranéens en 2009, j'ai remporté cinq médailles d'or et je n'ai pas eu toutes les primes. On estimait que j'avais eu trop de médailles! Souvent, il fallait que mes parents fassent des demandes pour récupérer les reliquats des primes de mes records. «Plus personne ne me forcera à dédier mes médailles au Président» Que va changer la fin du régime Ben Ali pour vous? Plus personne ne me forcera à dédier mes médailles au Président. A chaque fois, c'était «grâce à Ben Ali». Je n'avais pas le choix. Systématiquement, les médias me demandaient «A qui dédiez-vous cette médaille?» Et si je ne la dédiais pas à Ben Ali, mes parents recevaient un coup de téléphone… Il vous est arrivé d'oublier ? Aux Mondiaux de Dubaï (petit bassin, en décembre) oui… Mais Ben Ali est venu me recevoir à l'aéroport de Tunis. C'était quelques jours après l'immolation de Mohamed Bouazizi (le 17 décembre à Sidi Bouzid) qui a déclenché la révolution. Le gouvernement a voulu utiliser mon retour pour montrer que la Tunisie était en bon état. Ce jour-là, le ministre des Sports m'a dit : «Vous avez commis une grave erreur. Heureusement que vous vous êtes rattrapé à Tunis». Le régime, c'était ce genre de langage, de sous-entendus… A Dubaï, après votre titre sur 1.500 m, vous aviez dénoncé «la très mauvaise gestion» de votre fédération (2). Y a-t-il eu des représailles? Pour abîmer mon image, le président de la fédération a fait un coup médiatique en disant que mes parents avaient pris d'assaut le bâtiment de la fédération. En fait, ce jour-là, toute la famille de la natation s'est exprimée, mes parents étaient avec eux. 80% des clubs ont déposé des plaintes au ministère pour changer la présidence et le bureau fédéral. Quels changements attendez-vous ? La révolution s'est passée sur le plan politique mais on l'attend encore sur le plan sportif. Les présidents de toutes les fédérations sont toujours en place ! Le processus sera long. A qui dédierez-vous vos prochaines médailles ? (Il rigole). On verra… S'il y a des médailles, je penserai à les dédier à des personnes spéciales dans ma vie. Maintenant, je nage en Tunisien libre et ça, c'est le plus beau cadeau que la révolution m'ait donné». ___________ (1) En 2007, alors étudiant, il avait justifié ce contrôle positif par la prise d'un comprimé pour préparer des examens. (2) A la suite d'un cafouillage administratif, Mellouli avait dû nager, le matin, dans la série la plus lente du 1.500 m (épreuve sans finale), ce qui ne l'avait pas empêché d'être sacré, aucun de ses rivaux en course le soir n'ayant amélioré son temps.