MINGORA, Pakistan (Reuters) — Kishwar Begum suivait des études d'infirmière quand elle a apparemment décidé de supprimer des vies, plutôt que d'en sauver. Sa photographie apparaît en première page d'un journal pakistanais où elle est présentée comme une candidate à l'attentat-suicide toujours en fuite dans la vallée de Swat, l'ancien bastion des talibans conquis par l'armée il y a un an. Beaucoup d'islamistes furent tués mais d'autres se sont évanouis dans la nature et les habitants redoutent qu'ils ne reviennent si l'armée confie la sécurité de la région à la police. Les autorités soulignent que le cas de Kishwar Begum n'est pas isolé, que d'autres jeunes activistes, âgés de 16 à 21 ans, préparent des attentats-suicide comme celui qui a fait 14 morts récemment à un point de contrôle de Mingora, la principale ville de la vallée, à 120 km au nord-ouest d'Islamabad. "Il est impossible d'empêcher les attentats-suicide. Les talibans veulent revenir et reprendre le contrôle de la région. Ils essaient de se regrouper", explique le chef de la police de Swat, Qazi Ghulam Farooq. Contrairement aux policiers qui ont pris la fuite après la mort de nombre de leurs collègues sous les coups des talibans, Farooq est resté, obtenant une distinction pour son courage. Mais il n'a guère le temps de s'éterniser sur ses faits d'armes. Il s'évertue actuellement à persuader une cinquantaine de policiers de revenir prendre leurs fonctions dans l'ancienne région touristique. La police de la région, qui compte 1,3 million d'habitants, a de maigres ressources. Il n'y a que huit véhicules blindés de transport de troupes pour toute la vallée. Il en faudrait au moins 17 de plus pour protéger policiers et militaires des attaques des activistes, qui tendent leurs embuscades avant de prendre la fuite à travers les vergers ou les montagnes. Décapitations On voit rarement ces blindés bleus à l'allure délabrée autour des villages, où les affiches de talibans recherchés placardées aux barrages routiers ravivent les souvenirs de décapitations ou flagellations en public auxquels procédaient les talibans lorsqu'ils étaient maîtres des lieux. En dépit du succès de l'offensive de l'armée, qui a soutenu les activistes pendant des années, les habitants continuent à douter de la détermination des militaires. "Ils nous ont déjà laissés tomber. Les militaires ont toujours été proches des activistes", déclare un homme âgé, Jamruddin Khan, qui a connu l'agitation politique, les coups d'Etat et plus récemment l'insurrection des talibans. D'autres continuent de faire confiance aux 50.000 soldats déployés dans la vallée. Dans un lieu un moment baptisé la "place des têtes coupées", le bazar de Mingora, les commerçants s'affairent. Tout, du poisson aux chaussures, est à vendre. Il y a des cybercafés, ce qui aurait été impensable durant le règne de terreur imposé par les talibans, qui rejettent toute influence occidentale. A cette époque, à partir de leur conquête de la région en 2007, les talibans décapitaient des condamnés et ligotaient la tête coupée aux pieds de la victime. Des corps étaient suspendus aux poteaux téléphoniques pendant des jours, avec interdiction à quiconque de les décrocher pour les inhumer. L'image est restée gravée dans la mémoire d'Altaf Hussein. Il y a huit mois, cet homme n'avait pas de travail. Il a rejoint les forces de police et est devenu un membre des forces spéciales, dont il porte aujourd'hui l'uniforme noir et le fusil d'assaut AK-47. Mais comme beaucoup d'habitants qu'il est supposé protéger, Altaf Hussein ne peut masquer son inquiétude."J'ai peur que l'armée s'en aille", confie-t-il.