Par Hmida BEN ROMDHANE Trois mois, jour pour jour, nous séparent de l'événement que les Tunisiens attendent avec espoir, mais aussi appréhension, et les pays étrangers attendent avec une certaine curiosité. Nous attendons les élections du 24 juillet avec espoir parce qu'elles constituent une sorte de bouée de sauvetage qui mènera le pays vers la sécurité et la stabilité tant souhaitées par l'écrasante majorité des Tunisiens, du simple citoyen à l'homme politique en passant par le commerçant et l'opérateur économique. La particularité de ces élections est que, contrairement aux anciennes "gagnées" au taux ridicule de 99%, elles peuvent et doivent être gagnées au taux indiscutable et sans appel de 100%. Pour être plus précis, si tout se passe bien et au-delà des résultats chiffrés du scrutin, forcément fractionnés à l'image du fractionnement politique du pays, il y aura un seul gagnant qui rempotera l'ensemble des voix : le peuple tunisien dans son entièreté. Soyons plus précis encore. La principale question que l'on aura à poser au soir du 24 juillet prochain n'est pas qui a gagné quoi et combien, mais si le scrutin s'est déroulé dans de bonnes conditions et aura ainsi servi de passerelle solide qui nous mènera des zones brumeuses et incertaines vers une aire propice à l'édification d'une vraie ère nouvelle. Les deux derniers mots, j'en conviens, font surgir des souvenirs douloureux. Mais ce n'est pas parce qu'un imposteur déguisé en "artisan du changement" nous a floués que l'on devrait bannir l'usage de ces deux mots. La vraie ère nouvelle est celle dont on entamera l'instauration à partir du 25 juillet, jour où la Tunisie aura élu sa première Assemblée légitime à travers les premières élections démocratiques et transparentes, sans l'aide décisive de quiconque qu'il ait pour nom "combattant suprême" ou "l'homme du changement". La vraie ère nouvelle que l'on se prépare à inaugurer le 24 juillet 2011 devrait extirper à la racine la fausse ère nouvelle du 7 novembre 1987. La première est l'œuvre du peuple qui, pour la première fois de son histoire, prend son destin en main. La deuxième est le cadeau empoisonné que l'imposteur a feint d'offrir au peuple tunisien pour mieux le dépouiller de tous ses droits et d'une partie substantielle de ses richesses. N'ayant derrière elle ni "artisan du changement" ni "homme exceptionnel", mais le peuple lui-même, la vraie ère nouvelle, si elle réussit l'épreuve du 24 juillet, ne pourra donc pas dégénérer. La réussite de l'épreuve du 24 juillet dépend essentiellement de la consécration de quelques idées simples, mais fondamentales, partagées par l'écrasante majorité du peuple tunisien: les libertés d'association, d'expression et de la presse, l'indépendance de la justice, l'alternance au pouvoir, l'irréversibilité des acquis de la femme, le retour de la pratique religieuse dans les mosquées et l'expulsion de la politique des lieux de culte. Toute formation politique, tout front, toute coalition qui sortira des urnes et qui tentera, ouvertement ou insidieusement, de remettre en cause ces quelques idées sera frappée du sceau de l'illégitimité et, par conséquent, ouvrira la voie à des soubresauts dont nul ne pourra prévoir l'issue, mais dont les conséquences seront forcément catastrophiques pour tout le monde. D'aucuns pourraient objecter sur quelle base avance-t-on l'hypothèse que l'écrasante majorité du peuple tunisien partage les idées sus-mentionnées ? La réponse est simple: à part les quelques illuminés ou les quelques intégristes purs et durs qui s'agitent en marge de la société, il est extrêmement difficile de trouver un seul Tunisien qui refuserait les libertés d'association, d'expression et de la presse, qui souhaiterait une justice inféodée à l'autorité politique, qui voudrait voir ses enfants naître, étudier, travailler et prendre leur retraite, le tout sous le règne d'un maximum de deux présidents, qui donnerait son accord à l'abrogation du Code du statut personnel ou qui acquiescerait à la pratique incongrue de la prière sur la chaussée et des tribunes politiques dans les mosquées. L'éclatement du paysage politique tunisien en une multitude de partis minuscules risque de rendre ardue la tâche d'établissement d'une démocratie stable. Si nombre de ces partis partagent les idées fondamentales sans lesquelles il n'y aura pas de démocratie, ils n'en sont pas moins dévorés par les ambitions personnelles et par la propension à servir les intérêts étroits. L'heure n'est pas à la conquête du pouvoir par les partis, mais à la construction de la Tunisie démocratique. D'où la nécessité fondamentale de se regrouper, dans cette étape décisive, en fronts démocratiques et républicains de manière à assurer l'édification des bases démocratiques que le pays n'a jamais connues. Tout le reste viendra après.