C'est dans des locaux flambant neufs que l'ambassadeur du Canada a donné hier une conférence de presse, la première après cette période de transition qui vient de se terminer à Ottawa après que le gouvernement de Stephen Harper eut été acculé à la chute au mois de mars. En effet, de nouvelles élections législatives viennent d'avoir lieu, qui ont donné finalement, et pour les quatre années à venir, une majorité confortable à l'ancien Premier ministre. C'est donc «une nouvelle ambassade pour une Tunisie nouvelle», ainsi que l'exprimera M. Ariel Delouya. L'inauguration officielle aura lieu cependant le 1er juillet prochain, jour de la fête du Canada. L'ambassadeur précise, par ailleurs, que c'est pour lui un privilège de se trouver en Tunisie en un moment pareil de son histoire : «C'est comme si on avait une nouvelle affectation. Un monde nouveau s'ouvre pour nous... Il faut trouver d'autres repères». Devançant sans doute les questions des journalistes sur le thème du séjour sur le sol canadien de membres de l'ancienne famille au pouvoir, l'ambassadeur a souligné que, «dès les 15, 16 et 17 janvier», une des mesures prises fut d'élaborer une liste de personnes issues de l'ancien régime susceptibles d'essayer de se rendre au Canada et qu'il convenait de surveiller. Cette liste «s'est rapidement développée», dépassant le nombre de 100 noms, et a été partagée entre plusieurs chancelleries. Cette position de principe a été confirmée à l'occasion d'un voyage de Stephen Harper au Maroc, lorsque ce dernier a salué la révolution tunisienne et «a fait savoir que certaines personnes n'étaient pas les bienvenues sur le sol canadien». En outre, une nouvelle loi a été promulguée le 23 mars dernier qui est «taillée sur mesure» par rapport aux événements de la Tunisie et de l'Egypte, de manière à geler les avoirs des dirigeants corrompus. Mais, ajoute-t-il, la restitution de ces avoirs doit nécessairement passer par une présentation de preuves à la justice canadienne de la part du pays d'origine. L'ambassadeur a indiqué encore que, depuis, son pays suit l'évolution de la transition démocratique en Tunisie, sur le plan aussi bien politique qu'économique. Les dimensions de la nouvelle ambassade, dont il est dit qu'elles répondent aux besoins actuels mais surtout à venir, correspondent à la prévision d'une augmentation des échanges entre les deux pays. Ce que M. Delouya justifie en faisant valoir que la révolution en Tunisie bénéficie de tous les ingrédients de la réussite : population instruite, infrastructures, ouverture sur le monde... Il fait le rapprochement de ce point de vue avec d'anciennes républiques de l'Europe centrale comme la Hongrie, l'ancienne Tchécoslovaquie ou encore la Pologne. L'ambassadeur n'a pas manqué de revenir sur la question de la présence de Belhassen Trabelsi, gendre du président déchu, sur le sol canadien suite aux questions qui lui ont été adressées par les journalistes. Il fait observer à ce propos que l'asile dans son pays relève d'un système indépendant : «Tout réfugié, que sa demande soit loufoque ou sérieuse, a le droit d'être écouté... En cas de rejet, il y a une possibilité d'appel. Les tribunaux décideront. Si le rejet est maintenu, le renvoi vers le territoire tunisien sera possible». Toutefois, sur ce dernier point, l'ambassadeur s'abstient d'être formel : serait-il expulsé du territoire canadien ou extradé vers la Tunisie ? Il ne le dit pas. D'autant qu'il n'existe pas entre la Tunisie et le Canada de traité d'extradition. D'autre part, la loi sur la confidentialité s'applique à lui, rappelle M. Delouya : il a la possibilité d'exiger que rien ne soit divulgué sur les détails de son dossier. Interrogé sur les dispositions de son pays en cas de victoire des islamistes lors des prochaines élections, l'ambassadeur a indiqué qu'il ne lui appartenait pas de se prononcer sur le choix des Tunisiens : «Nous traiterons avec le gouvernement qui émanera des élections... Notre espoir est que ces élections soient transparentes et justes».