«Il faut avoir un chaos en soi pour accoucher d'une étoile qui danse.» Friedrich Nietzsche Quelle idée magnifique que de filmer de la danse en 3D ! Jamais, en tant que spectateurs, on n'a été autant impliqués dans ce qu'on appelle la danse théâtre. Du 14 au 17 de ce mois, le cinéma Afric'Art a projeté «Pina» de Wim Wenders, un documentaire réalisé en hommage à la chorégraphe allemande Pina Bausch, décédée le 30 juin 2009. Sorti d'abord en France le 6 avril 2011, ce film présente un grand nombre de reprises de ses chorégraphies, filmées dans des lieux originaux, tels que les rues de la ville, le métro, la montagne et la plage, le bord d'une autoroute, un quai, une maison aux murs en verre... Les extraits du répertoire chorégraphique de «Tanztheater», la Compagnie de Pina, sont ponctués par les témoignages des danseurs filmés tour à tour en plans rapprochés. Ces derniers regardent la caméra en silence. C'est leur voix en off qui raconte la Pina, sa fragilité et sa force, ses yeux qui, même cernés, pouvaient tout voir, sa façon de prendre la beauté qui est en eux pour la rendre plus belle, les questions qu'elle leur posait tout le temps pour qu'ils devinent les couleurs de ses tableaux, et sa manière d'être comme une maison avec un grand grenier dedans… Les tableaux se suivent et ne se ressemblent pas. Les personnages se croisent, nos souvenirs personnels interfèrent, et de l'image en 3D se dégage l'émotion intense de la solitude. On est tellement près de ces corps que l'on se sent danser. Mais qu'est-ce que «danser» si ce n'est chercher en soi-même, et trouver peut-être ? Ne sommes- nous pas les danseurs-acteurs-coauteurs de nos vies ? Pour écrire ce qu'elle avait écrit, Pina n'a fait que regarder les gens et essayer de voir les rapports humains. Elle disait, d'ailleurs, qu'elle ne connaissait rien de plus important. «Faire deviner», voilà ce qu'elle faisait en dansant et en faisant danser. «Faire deviner, même avec le mot, c'est là où la danse reprend», déclare-t-elle dans un de ces extraits en noir et blanc et en 2D. Dans ses pièces, les mots ont la plupart du temps quelque chose de fugitif, de fragmentaire, d'effacé. Les mouvements sont anodins, répétés. Les corps bougent comme une plainte d'amour, se touchent, se font face, dérapent sur le corps de l'autre, s'enlacent, se protègent, courent vers les murs s'y jeter, s'y heurter, s'effondrer…Ces êtres humains veulent désespérément devenir un. Ils veulent aimer. Ce théâtre de bribes et de fragments va jusqu'au bout du doute et de l'insécurité. Et le film de Wenders devient à la limite insupportable, parce que son rythme et son contenu nous poussent à décrocher de nos petites satisfactions. Mais comme disait si bien Pina, il vaut mieux danser, sinon nous sommes perdus.