Hier matin, au cœur de la capitale des Aghlabides et à quelques mètres de Bab Jalladine, la mosquée Negra ne cessait de drainer des visiteurs de tous bords. Normal. L'événement est de taille et est fort semblable à un conte de fées. La mosquée construite par Hadj Sghaier Negra en 1948, selon l'architecte Hedi Lahmar, a bien su garder son mystère 63 ans durant avant de le révéler au hasard d'une fouille. Les travaux de restauration de ladite mosquée ont démarré le 15 janvier dernier et sont dirigés par un comité spécialisé. Ce dernier disposait déjà, comme l'affirme M.Lahmar, de quelques documents prouvant l'existence de plusieurs collecteurs d'eau et d'anciennes citernes datant d'une époque lointaine. «Il était envisageable pour nous de trouver de nouveaux collecteurs d'eau souterrains à Kairouan. Ainsi, on a demandé à l'équipe d'œuvrer en toute délicatesse. Ce après quoi l'on s'est rendu compte de l'étonnante résistance de ce chef-d'œuvre architectural face à l'usure du temps. D'ailleurs, le monument date de l'époque hafside, comme l'attestent certaines transcriptions repérées sur les lieux». C'était au fur et à mesure des fouilles qu'une bouche de citerne a été repérée dans la salle de prière, permettant d'estimer la capacité du collecteur d'eau à 3 mètres de hauteur, soit 1500 m3. «On a fait en sorte que les parois internes de la citerne ne soient pas détériorées en évacuant l'eau qu'elle contenait. C'est pourquoi, l'on a mis près d'un mois pour achever les travaux. Puis, on a découvert que la bouche principale de la citerne était située derrière le mihrab. A ce stade- là, on s'est référé aux plans de l'Armée française de 1881 indiquant l'existence d'une petite salle de prière (msalla derbet Tamar), où l'on pratiquait autrefois la prière de l'aïd, où l'on priait aussi pour qu'il pleuve généreusement. Par ailleurs, il paraît que le fondateur de la mosquée était au courant de cette grande citerne, compte tenu des trois colonnes en brique pleine de Kairouan mises en place pour supporter la charge des colonnes de la mosquée. Ce qui nous amène à admettre qu'en 1948, les constructeurs ont procédé de telle sorte que la mosquée soit édifiée sur ce monument, sans pour cela endommager sa structure architecturale de base», avance notre interlocuteur. A la recherche des trésors perdus Toujours est-il que ce collecteur d'eau est en très bon état. Il contient quatre citernes internes, trois ouvertures dans le toit et quatre voûtes d'arêtes pour renforcer la construction. Une technicité aussi admirable qu'elle reflète la dextérité du constructeur hadj Lamine Laâyouni qui a mis en place une console de support en pierres pour supporter la charge de la colonne du rez- de- chaussée. «La technique de construction est fort impressionnante et invite à l'étudier davantage», s'exclame M.Lahmar. C'est avec les yeux de l'âme qu'il faut contempler cet édifice qui offre une interprétation originale de l'art architectural aghlabide. Autant l'élargissement des espaces est serein, autant les proportions sont harmonieuses. Tout au plus, l'équilibre semble être cherché entre l'élancement vertical et l'épanouissement des lignes horizontales. Bref, une beauté originale et paisible. Mais certains s'y intéressent peu, vu qu'ils se permettent de contrecarrer l'équipe chargée des fouilles pour entreprendre les leurs à la recherche des trésors perdus. «Ce qui se passe est incompréhensible, voire aberrant. Certains se sont permis de mener des fouilles la nuit à l'aide de projecteurs, à la recherche des trésors. Ils avancent que toute une fortune a été récupérée par la famille du président déchu. Or, on est sûr que cet édifice était depuis 1948 et jusqu'aux fouilles actuelles intact», souligne mon interlocuteur.