La galerie Aïn aux Jardins de Salammbô abrite l'exposition personnelle de Bady Chouchène, l'un des artistes les plus fidèles à cet espace. Chouchène, né en 1946, fait partie de la génération de Ben Zakour, Sahli, Ben Messaoud et bien d'autres, dont la particularité est de ne pas avoir fait forcément la spécialité peinture. En effet, Bady s'est par exemple orienté vers la céramique, Ben Messaoud vers les arts graphiques, mais tous les deux étaient des dessinateurs chevronnés. La peinture était pour eux une option, mais quand on la pratique, même pour deux petites heures par semaine avec Amor Ben Mahmoud ou Habib Chébil, on est contaminé à vie par ce virus implacable. Ils ont tous réussi comme peintres, c'est ce qui s'est passé pour Chouchène qui, dans ses deux dernières années à l'école des Beaux-Arts de Tunis (73/75), faisait des esquisses pour ses panneaux de céramique, en utilisant la gouache ou la peinture, et il se trouve qu'à cette période, l'école vivait une réforme radicale qui remettait en question l'enseignement artistique, l'ouverture sur les courants modernes a fait que l'académisme prit du recul. Chouchène a eu la chance de vivre à cheval entre les deux périodes distinctes. Il a pratiqué une vision nouvelle à cette époque, à l'instar de Abderrazzak Sahli, caractérisée par la gestualité, la simplification des formes et la franchise des couleur. Un céramiste doit être nécessairement coloriste, Chouchène l'a été, au point de s'orienter définitivement vers la peinture pour réussir une carrière calme et riche de peintre figuratif se préoccupant de la vie quotidienne dans les villes et villages de Tunisie et en particulier son fief natal : La Chebba, une splendide cité maritime avec une forêt en face de la mer. La démarche de l'artiste se caractérise par une accumulation de signes, de personnages et d'architectures, le tout organisé avec une technique où le geste instantané joue un rôle essentiel. D'une exposition à une autre, il essaye d'introduire de nouveaux éléments pour enrichir l'ensemble, cette fois il intègre des moucharabiés dans plusieurs œuvres. On peut dire que notre peintre a puisé dans la peinture post-impressionniste et le courant qui sévissait dans les années 1960 et qui a influencé la génération de Chouchène, et qui était représenté par Amor Ben Mahmoud, Khelifa Cheltout, Mahmoud Sehili, Ismaïl Ben Fredj et d'autres. Seulement, Bady a créé son monde à partir de la conception de la composition: il compose par la couleur, une zone d'attraction est omniprésente dans toute l'œuvre, les touches de différentes épaisseurs sont le moyen essentiel d'expression, les couches superposées de bruns, de rouges et de variétés de jaunes donnent une force à la peinture de Chouchène, les titres annoncent les préoccupations techniques de l'artiste : «mouvement», «souk», «ambiance festive», «la grande fête», etc. En effet, l'ensemble de l'œuvre de Chouchène exprime le mouvement et la joie de vivre, traité avec beaucoup de tempérament et de virtuosité, dans des tons contrastés et une passion imperturbable de l'acte de peindre. Dans certaines œuvres, on remarque une double vision où un ou des personnages sont dessinés avec plus de détails et contactent avec le traitement du reste du tableau, ce qui engendre une contradiction et entrave l'unité de l'ensemble. Il y a plusieurs manières de voir le monde et l'exprimer par la forme et la couleur, celui qui a vu Chouchène peindre à l'Ecole des beaux-arts dans les années 70, ne s'attendait pas à le voir se préoccuper seulement d'une démarche qui durera plus de 35 ans et dont les variations sont limitées, il y a ce souci d'être authentique qui se résumait à l'époque par l'architecture locale, les habits traditionnels et la calligraphie, Chouchène s'est contenté de ces facteurs pour les exprimer avec beaucoup de métier, mais peut-on oser dépasser ce stade quand on a dépassé les 60 ans ? Picasso, l'a fait chez nous, Sahli et d'autres l'ont fait, grâce à ce qu'on appelle en arabe ce hajess (angoisse) de la création.