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Un potentiel à diversifier, une proximité avec l'Algérie à valoriser Entretien avec: M.Kamel Ayadi, fondateur du Centre de réflexion stratégique pour le Nord-Ouest
Pour la région du Nord-Ouest, qui présente une problématique spécifique, le développement socioéconomique constitue un facteur déterminant dans la promotion des potentialités de la région et des ressources humaines. C'est dans cette perspective que le Centre de réflexion stratégique pour le Nord-Ouest a été fondé par une pléiade de compétences de la région. Sur la mission du centre et ses objectifs, les perspectives de consolidation et de diversification de l'économie régionale ainsi que l'exploitation à bon escient de toutes les opportunités qui se présentent en vue d'impliquer la région du Nord-Ouest de manière efficace et durable dans le processus de production ou de création de nouvelles richesses, M.Kamel Ayadi, fondateur du centre, a bien voulu nous apporte un éclairage. Interview. Comment avez-vous eu l'idée de fonder un centre de réflexion stratégique pour le Nord-Ouest et quelle est sa mission ? L'idée de création de ce centre est venue après mûre réflexion et après une observation réfléchie de la dynamique politique et sociale qui s'est enclenchée juste après la révolution du 14 Janvier. Cette révolution a libéré les énergies et a permis une éclosion rapide et sans précédent d'initiatives, qui a pris en particulier la forme de création de partis politiques. Je pense que c'est une tendance naturelle, étant donné la frustration qui s'est accumulée tout au long des décennies passées, surtout chez l'élite politique qui a vu ses forces et son énergie "congelées". Pour cette raison, je me suis personnellement imposé un temps de réflexion quant à mon engagement sur un projet politique pour me consacrer à la chose que je sais faire le mieux, en l'occurrence le travail associatif orienté vers le développement économique et social, ainsi que sur le renforcement des capacités des ressources humaines. A mon avis, ce travail correspond à un besoin immédiat de la société et répond aux attentes des régions défavorisées, dont celle du Nord-Ouest. Comment le travail associatif peut-il aider dans le contexte actuel ? Le travail associatif a été défiguré et détourné de ses nobles objectifs durant les dernières années. L'effort associatif a été, sauf en de rares exceptions, dépouillé de toute spontanéité. Le paysage associatif était dominé par des associations dont l'objectif était la recherche de plateformes permettant de montrer son allégeance au pouvoir. La recherche de l'allégeance a vidé ce travail de toute sa substance, au point que des associations existaient uniquement pour envoyer des télégrammes quand on le leur demandait. Pour pouvoir exister en tant que militant du monde associatif, il était indispensable d'accepter le compromis avec le pouvoir en place, ce qui était vu parfois comme une sorte de clientélisme. Maintenant que les espaces de participation publique ont été libérés, un vrai militantisme associatif peut émerger, dans la mesure où seuls les militants mus par des objectifs nobles, purement associatifs, peuvent continuer à s'adonner à ce travail. Je suis persuadé que l'avenir de la Tunisie dépendra du niveau d'implication et de la maturité de la société civile. Comment comptez-vous apporter des réponses au problème du retard de développement de la Tunisie intérieure ? Quel serait, justement, la vision des fondateurs du centre pour réduire les disparités régionales‑? Le centre n'est pas un organe d'exécution ni un bureau d'étude. Il ne va pas se substituer aux structures publiques ou privées dédiées au développement régional, mais plutôt compléter leurs efforts. Le centre se positionne au niveau de la réflexion stratégique, en d'autres termes l'identification des enjeux de développement, l'élaboration des visions et des axes de développement. Pour cette raison, notre action en direction du Nord-Ouest a des retombées sur le plan national. C'est une démarche régionale pour servir des objectifs d'ordre national. Je tiens à préciser ce point pour ceux qui pourraient voir dans notre démarche une rémanence des réflexes régionaux. Il n'y a pas un brin de régionalisme, au sens péjoratif du terme, dans notre initiative. Quelles sont les problématiques du développement du Nord-Ouest tunisien ? Est-ce que vous avez identifié déjà les blocages actuels de son développement sur les plans économique, social et culturel ? Je crois que l'une des problématiques de développement de la région du Nord-Ouest réside dans le fait de la surestimation de sa vocation agricole. Dans l'imaginaire collectif, la région du Nord-Ouest a été associée à l'agriculture et son destin en matière de développement était presque confiné dans les limites potentielles de ce secteur. Le paradoxe réside dans le fait que, non seulement la région a été confinée dans l'agriculture, mais aussi que ce secteur n'a pas reçu une attention de la part de l'Etat et n'a pas bénéficié d'un ordre de priorité au même titre que d'autres secteurs, comme celui du tourisme. Mis à part les efforts en matière de mobilisation des ressources hydriques, dont la portée est plutôt nationale que régionale, le secteur de l'agriculture souffre de nombreux manques. Il a fallu la crise alimentaire mondiale, qui a tiré la sonnette d'alarme, pour que ce secteur reprenne sa place stratégique dans la réflexion nationale. Donc il faudra dans le futur diversifier les sources de croissance par le déploiement d'autres activités économiques, en particulier les industries de transformation dans la région. L'atout de la proximité de la région avec l'Algérie n'est pas non plus suffisamment valorisé. C'est un potentiel dormant qui aurait pu avoir le même effet en termes d'échanges commerciaux et de mobilité humaine que celui que connaît le Sud tunisien avec la Libye, en dehors des temps de crise. Un autre handicap au développement et non des moindres réside dans la capacité de rétention de la région vis-à-vis de ses ressources humaines, toutes catégories confondues, partant de l'ouvrier qualifié jusqu'au cadre supérieur. Le Nord-Ouest est la seule région à avoir une croissance démographique négative. Pourtant, historiquement, cette région fut une terre d'accueil et d'intégration. Quand on sait que derrière chaque "success story" en matière de développement, il y a un facteur humain, on comprend bien que le développement de la région ne pourra se réaliser que si l'on parvient à réconcilier les ressources humaines avec la région. La réussite du processus de transition démocratique et l'édification d'une nouvelle étape est essentiellement liée à la réussite du modèle économique et de développement : qu'en pensez-vous ? Je suis tout à fait d'accord. C'est ce que nous n'arrêtons pas de marteler. Malheureusement, la société n'est pas assez réceptive à ce discours. Le débat national est dominé par l'agenda politique, qui accapare beaucoup d'espace au détriment du débat autour des questions économiques. Les acteurs politiques ont tendance à oublier les deux principales raisons qui ont déclenché la révolte, à savoir l'emploi pour les jeunes et les disparités régionales. C'est essentiellement à ce niveau que se situent les attentes de plus de 95% de la population. Aucun modèle politique, aucun projet de société n'aura de chance de réussir s'il n'est pas accompagné d'une dynamique de croissance économique et d'un minimum de prospérité.