La nuit des surprises, c'est la nuit du 14 janvier. La nuit où la Tunisie a basculé de la dictature à la révolution. C'est cette nuit historique que Moez Achouri, à la fois auteur, scénographe et metteur en scène, a imaginé et reconstruit artistiquement avec le concours d'une pléiade de comédiens (une vingtaine environ), parmi lesquels Leïla Chebbi, Noureddine Ayari, Hatem Kassir, etc. Produite par le Théâtre national, la première de Laylet el Ghafla a été présentée, samedi dernier à la salle 4e Art en présence de quelques spectateurs. Décidément, on ne comprendra jamais cette défection du public. Bref, sur une scène nue, des personnages représentant un peuple en colère, manifestent dans une rue sombre en faisant le célèbre geste de la main signifiant l'impératif «dégage». Dans les ténèbres de cette nuit sans fin, les snipers tirent sur tout ce qui bouge. Ils font tomber Marwane qui surveille son quartier avec d'autres jeunes. Il devient martyr. Sa sœur Selma supporte mal sa mort, elle l'imagine dans l' «autre maison», celle de l'au-delà, et tente de communiquer avec lui, tandis que la population est partagée entre règlements de compte et réconciliation avec les corrompus du pouvoir. Drame contemporain C'est là la question que pose cette création, sans proposer de réponse, d'ailleurs. Refaire la révolution du 14 janvier avec les manifestations populaires à l'origine de la chute du dictateur Ben Ali et de la mort des martyrs tombés sous les balles des snipers n'est pas une entreprise aisée. Le metteur en scène a choisi de suivre fidèlement le déroulement des événements de manière illustrative, en utilisant des éléments sonores comme la radio reposant sur des extraits d'enregistrements réels survenus lors de la révolution ainsi que des bruits de tirs et de bombes lacrymogènes et des dialogues d'un texte original écrit par lui-même, qui est un mélange d'arabe littéraire et de dialectal. Côté scénographique, il s'appuie sur des techniques de diverses expressions artistiques comme la danse et le cirque. Lumière, musique et son tonitruants concourent à donner un spectacle où l'action est trépidante. Le jeu des comédiens est collectif en raison de l'esprit même qui se dégage de ce drame contemporain, où le héros n'est pas un leader mais le peuple entier, dont Marwane qui incarne tous les martyrs victimes des snipers. Les comédiens sont souvent en groupe. Ils déambulent, s'agitent et dansent comme dans un show. Tout au long de la pièce, qui dure deux heures, un personnage suspendu à un montant vertical fait des contorsions dont on ne comprend pas bien le sens. Comme on ne saisit pas non plus le sens donné à ce martyr que sa sœur imagine dans l'au-delà, entouré de jeunes filles vêtues de robes de mariage blanches et accompagnées d'hommes. Une image quelque peu infantile de ce qu'est le paradis. De manière générale, l'art supporte mal les discours directs et les surcharges. Pourtant, c'est ce qui semble caractériser cette œuvre dont le mérite est, cependant, de transposer un événement réel et d'en faire un travail artistique avec ses qualités et ses défauts. L'essentiel est d'avoir osé transgresser les tabous en évoquant de manière claire l'événement historique du 14 janvier. Toutefois, pour être plus digeste, la pièce gagnerait à être ramassée. Des passages inutiles, notamment certaines chorégraphies qui n'ajoutent rien au sens exprimé, sont à écourter, voire à supprimer. Question de rythme.