A la fin d'un déjeuner que l'éditeur Bruno Roy avait partagé avec Henri Michaux, ce dernier insista pour payer l'addition. Bruno Roy qui venait alors de lui publier un livre lui demanda s'il ferait de même avec Antoine Gallimard, car en tant qu'éditeur c' était à lui d'inviter l'auteur. Et Michaux de répondre: «Mais je n'ai jamais déjeuné avec Gallimard». «Voilà ce qu'est qu'être une petite maison d'édition, c'est de pouvoir entre autres nouer des relations» nous explique Roy qui était présent, récemment, à l'initiative du poète Moez Majed, à la librairie Art Libris pour nous parler, en compagnie de l' artiste calligraphe Nja Mahdaoui, des éditons Fata Morgana. Fata Morgana fondée en 1966 par le traducteur Bruno Roy est la plus ancienne maison d'édition encore vivante de la région Languedoc-Roussillon dans les domaines de la littérature et des arts. «J'avais 25 ans et j'enseignais la langue française à Zarzis quand j'ai élaboré la première maquette de Fata Morgana», explique l'éditeur. Fata Morgana est le nom italien de la fée Morgane, éponyme d'un mirage que des marins voyaient dans le détroit de Messine. «A l'image de son nom, Fata Morgana, est un mirage...», ajoute Roy. Un beau mirage qui n'a pas fait que passer et que les férus du livre ne risquent pas d'oublier, tant il a marqué les esprits et les cœurs par son excellence artisanale et son exigence littéraire. Ces éditions ont construit en quarante-cinq ans leur image et leur succès en comptant sur une typographie soignée, sur un beau papier vergé et sur la collaboration d'artistes qui vont d' Alechinsky à Zao Wou Ki en passant par, entre autres, Dado, Fassianos, Matta, Masson; les Messagier, Sima, Tal Coat ou Velickovik. Fata Morgana, comme son éditeur, vit au gré des plaisirs, le plaisir des rencontres et des amitiés que ce dernier a noué avec les personnes qu'il a publiées : peintres, penseurs et poètes, Alechinsky qui n'était pas connu à l'époque où il a commencé à le publier pour finir par l'accompagner tout au long de son parcours (60 livres et deux en chantier actuellement), Foucault à l'intelligence rapide dont il a édité trois livres et Breton intimidant et insaisissable, selon lui "Bruno Roy a voulu, à travers Fata Morgana, cultiver la tradition française du dialogue entre le verbe et l'image et aussi celle du travail au niveau du papier. Il en est ressorti des chefs-d'œuvre, à l'image de l'une de ses éditions aux illustrations entièrement peinte à la main ou encore d'un livre du grand poète irakien Badr Chaker Es-sayeb, édité en 600 exemplaires (que Roy compte rééditer); chaque exemplaire était présenté dans un coffret et accompagné d'un parchemin original", note Nja Mahdaoui. C'est surtout son amour pour l'édition que l'éditeur, qui se dit «méditerranéen», a voulu partager lors de cette agréable rencontre. D'anecdote en anecdote l'homme nous parle des balbutiements du début, parvenant à enflammer nos cœurs par tant de passion, d'humour et d'amabilité. "Dans un livre, avec le texte et l'image, l'éditeur est le troisième interlocuteur. Il transmet, entre autres, le discours à travers son travail au niveau du papier, de la couverture et de la mise en page", souligne Roy pour ajouter: "Vous savez ce n'est pas marrant de vieillir et ma compensation aujourd'hui c'est d'avoir fait, en 45 ans d'édition, toutes ces belles rencontres."