La série d'incidents survenue en Tunisie post-révolution, dont on rappelle les plus importants : l'agression de Nouri Bouzid dans la rue en plein jour par un fanatique, l'attaque en juillet dernier de la salle AfricArt pour avoir diffusé le documentaire «Ni Allah, ni maître» de Nadia El Fani et, récemment, l'envahissement du siège de Nessma TV après la diffusion du long métrage de dessins animés franco-iranien «Persepolis» de Marjane Saprati, vise essentiellement le spectacle cinématographique qui, visiblement, dérange une certaine frange de la société: les intégristes religieux. On voit bien que le cinéma, plus que toutes les autres formes artistiques (théâtre, arts plastiques, littérature, etc.), est la "bête noire" des fanatiques et déchaîne leurs passions, en raison de la vraisemblance des images mouvantes d'une fiction avec la réalité. Malheureusement, l'absence de culture, de discernement et d'esprit critique créent des confusions lors de la réception de l'œuvre cinématographique et de sa lecture. Nombreux spectateurs confondent entre fiction et réalité, entre images créées et images réelles. Ils font dire souvent à l'image ce qu'elle ne dit pas. Voilà donc un film, de surcroît un dessin animé, qui a mis le pays sens dessus dessous. Faut-il revenir au célèbre tableau de Magritte qui représente une pipe, intitulé «Ceci n'est pas une pipe», pour signifier que ce qui nous est donné à voir n'est pas une photographie de la réalité, mais l'interprétation d'une réalité donnée, selon le point de vue de son auteur. On est tenté de dire concernant la scène, objet du litige dans le film «Persepolis», ceci n'est pas Dieu. Ce n'est qu'une représentation, une image virtuelle de ce que pourrait imaginer l'auteur à travers le personnage d'une fillette. En arriver à la violence physique est le résultat de l'absence de culture et de l'éducation à l'image car durant les 23 années passées, le pouvoir a réussi à abêtir la population. Ben Ali a fait une partie de son peuple à son image ignare et inculte. Le résultat, on le voit maintenant. Le cinéma a toujours fait frissonner les régimes dictatoriaux. Aujourd'hui encore, en Iran, des cinéastes sont emprisonnés à cause de leurs idées, dont l'un des plus célèbres est Jafar Panahi. La liberté conditionnelle n'est pas une liberté. L'artiste serait-il amené (de nouveau) à recourir à l'autocensure et restreindre sa vision des choses pour ne pas heurter la sensibilité des fanatiques ? On croyait que c'en était fini avec la censure, mais on constate qu'elle peut ressurgir à tout moment. Son ombre est bel et bien là. Compte tenu de cette situation, les cinéastes vont devoir revoir les copies de leurs scénarii et les nettoyer de toutes les scènes jugées "inadaptées" à notre culture et notre identité arabo-musulmanes. Celles-ci seraient-elles si fragiles, au point que n'importe quelle œuvre pourrait les déstabiliser ? Il faut savoir raison garder et accepter la différence des uns et des autres. L'enseignement a un rôle important à jouer dans l'éducation et le rapport à l'image des générations futures. Au-delà de l'enseignement de base indispensable, l'éducation artistique est elle aussi un élément important, car elle est constitutive de la personnalité d'un enfant. Elle permet de forger son esprit critique et de le prémunir contre toute forme de manipulation ou d'agression.