Faire un livre, à entendre ceux dont c'est le métier, relève des sept travaux d'Hercule, mâtinés de ceux de Sisyphe. Les auteurs se plaignent que les éditeurs ne les paient pas, qui eux, accusent les imprimeurs de les mettre sur la paille, et les libraires d'oublier leurs factures qui, à leur tour, accusent les lecteurs de ne pas lire, qui eux, se plaignent que le livre est trop cher. Et pourtant, jamais l'édition n'a été aussi prolixe, aussi profuse, aussi dynamique et aussi créative. La révolution a boosté ce secteur,et lui a donné une vitalité magnifique. Sauf que l'on assiste à un phénomène curieux et que la plupart des livres sont édités à compte d'auteur. Désir d'individualisme, manque de confiance, goût de l'aventure, ou sentiment que l'on n'est jamais aussi bien servi que par soi-même, il est difficile de trancher. A nous, cela nous a donné l'envie d'aller voir du côté des éditeurs qui font de la résistance et qui continuent de publier. Le premier livre de Mika Ben Miled est consacré à un personnage au parcours atypique, plus connu par son entourage que par lui-même, et à qui on a voulu rendre hommage : Kussaï el Mekki était le père de Souheir Belhassen, et le frère de Hatim el Mekki. Et si l'un peignait, l'autre écrivait. Leur père, banni par les Français pour avoir créé un journal satirique, s'était exilé à...Jakarta Kussaï el Mekki raconte, en vers et en prose, son retour au pays, la séparation avec sa mère qu'il ne revit que 40 ans plus tard, ses amis, sa famille d'adoption... Ses enfants ont demandé à Rabâa Ben Achour de réunir ces textes et de les organiser. Autre ouvrage à signaler, Tunis Thanatos, roman à clé, faux polar d'un faux auteur, qui se cache sous un pseudonyme et qui nous sert une étonnante critique de la société. Le livre dormait dans un tiroir jusqu'à la révolution. Et puis le roman d'un jeune écrivain, Mohamed Dallagi, dont c'est le premier livre, La prostituée de Babylone, un roman gothique dont la couverture est illustrée par un tableau de Omar Bey. Plus sérieux, les cartaginoiseries éditent le deuxième tome des Africains : Les auteurs latins d'Afrique: les païens, sous la direction de Paul Monceaux En préparation, Mika Ben Miled travaille à parachever l'ouvrage qu'elle consacre à Ahmed Ben Miled. Celui-ci a beaucoup écrit, publié et donné des conférences. L'ensemble de ses écrits constituera une importante somme de travaux sur l'histoire de la médecine arabe. De même qu'elle annonce la sortie d'un Beau-Livre, du même format que ceux consacrés à «la chéchia» et aux «Beys de Tunis» : un livre très particulier, dans lequel Ibtisssem Mustapha, une jeune artiste, reproduit les costumes traditionnels de la région de Moknine en gracieuses aquarelles sur feuilles mortes, illustrées de calligraphies et accompagnées de charades, proverbes, contes et dictons. Devant ce beau palmarès, on ne peut s'empêcher de demander à Mika Ben Miled si elle a réalisé le livre de ses rêves. «Oui, puisque c'est par lui que j'ai commencé : le livre sur la chéchia. Mais j'ai déjà un autre rêve bien sûr : réaliser un livre qui s'attachera à comprendre comment l'Occident a découvert la culture du monde arabe. J'en suis au stade de collecte des archives et des documents». On ne peut que lui souhaiter bonne collecte.