Rouge parole est un de ces documentaires réalisés sur la révolution tunisienne, signé Elyes Baccar. Il vient d'être projeté en première, au festival «Doha Tribecca Film Festival» au Qatar, qui a eu lieu du 25 au 29 octobre dernier. Ce film n'a pas été primé, mais nous croyons savoir qu'il a été plébiscité par le public et les professionnels du cinéma. Impatients de revivre l'événement le plus important de notre vie de citoyens et de le revoir sous un autre point de vue, nous avons demandé à visionner Rouge parole en privé, en attendant sa sortie publique, prévue pour la fin de ce mois. Le film communique une envie formidable de le défendre. La prouesse de Baccar n'est pas d'avoir été au cœur de l'événement et partout là où l'étincelle a fait la flamme, mais d'avoir réécrit le réel, en soulignant les à-côtés et les visages, en ayant été capable de dissociation par rapport à certaines réalités qui dépassent la fiction. Pour une fois, l'auteur a «scénarisé» sans se laisser submerger par la matière, comme ce fut le cas dans son dernier documentaire réalisé dans les territoires occupés et intitulé Le Mur des lamentations. On dirait que cette expérience palestinienne l'a mûri. Il fallait, peut-être, passer par le danger, les risques, la complexité des événements, l'urgence et l'impatience de les montrer, pour pouvoir filmer tranquillement en Tunisie, le mur du silence qui s'effondre. Le réalisateur s'est enfin donné le temps d'écouter ses intuitions, de choisir ses images et de faire le tri de ses personnages, avant et en plein montage. Ses personnages sont anonymes, mais ô combien exceptionnels. Ce qui renforce le sujet. Dans les cafés. Au sit-in de la Kasbah. A l'aéroport, quand Rached Ghanouchi a débarqué. Chez eux, en essayant en vain de faire le deuil de leurs martyrs... Ces personnages étaient plus nature que nature. Le réalisateur a su s'effacer, en tenant sa caméra du bout des doigts. La fuite de Ben Ali et son dernier discours ont été le back story du film. C'est comme pour dire que l'Histoire avec un grand «H» ne fait que commencer. Le retrait de Moubarak et les menaces de Kadhafi, la victoire égyptienne fêtée à Tunis, les réfugiés de Dhiba et de Ras Jedir; c'est comme pour souligner à quel point ce pays est généreux et qu'il est le lieu où naissent les libertés et où meurent tous les empires totalitaires. C'est d'ailleurs, à notre avis, le propos du film. Au bout d'une heure trente-quatre minutes, on se rend compte que l'ennui n'a pas où s'installer, que l'on rit et pleure de bon cœur. Rouge parole ne jette pas seulement un regard sur le passé proche, il offre un ticket pour un voyage dans le futur. Il n'est pas possible que ces gens de Tunis et du fin fond du pays, si attachants, si vrais, si sincères, si courageux et si dignes, se tairont un autre jour. Pas besoin de les entendre parler. Il suffit de voir leurs portraits défiler pour comprendre que dans leur regard, il y a de l'attente et des coups de feu.