Par Soufiane BEN FARHAT La lecture des conclusions de la 3.124e session du Conseil des affaires étrangères de l'Union européenne, tenue à Bruxelles ce 14 novembre 2011, est fort instructive. L'UE s'y dit déterminée à travailler avec le nouveau gouvernement tunisien issu des élections. Des élections au cours desquelles, relève-t-elle, «le parti Ennahda a recueilli le plus grand nombre de voix». Elle se réjouit du démarrage rapide des travaux de l'Assemblée constituante qui «aura à remplir la tâche historique d'établir le cadre d'un Etat fondé sur les principes démocratiques, le respect des libertés fondamentales et de l'Etat de droit, les droits de l'Homme, l'égalité des sexes et la non-discrimination». Une occasion pour rappeler les nouvelles orientations de l'Union européenne en matière de politique de voisinage. Ainsi, apprend-on que «l'UE a approuvé une nouvelle approche, plus ambitieuse, de sa politique de voisinage afin d'apporter un soutien plus important aux pays de la région engagés dans une période de transition... Dans ce contexte, l'UE et la Tunisie ont établi un vaste agenda de coopération, qui inclut le lancement récent du dialogue pour la migration, la mobilité et la sécurité... L'UE confirme son engagement à lancer des négociations sur un accord de libre-échange complet et approfondi (Aleca), visant à améliorer les possibilités d'accès aux marchés, dans le contexte des réformes engagées par la Tunisie, en vue de parvenir à une intégration économique progressive dans le marché intérieur de l'UE... L'UE confirme également son engagement à reprendre et à achever les négociations du nouveau plan d'action qui consacrera le renforcement des relations entre l'UE et la Tunisie, à travers un partenariat renouvelé. L'UE soutiendra les nouvelles autorités dans leurs efforts, en faveur de la démocratisation et d'un développement économique durable, notamment dans le cadre du groupe de travail UE-Tunisie lancé le 28 septembre 2011 à Tunis». Encore une fois, c'est l'approche mercantiliste qui prime. Nous pouvons toujours nous en réjouir, certes. C'est mieux que rien. Encore faut-il savoir qu'il s'agit d'intentions. Ainsi, l'UE réitère-t-elle son «engagement» à reprendre et à achever les négociations du nouveau plan d'action «qui consacrera le renforcement des relations entre l'UE et la Tunisie, à travers un partenariat renouvelé». Les mots induisent l'embarras. On brode sur le registre de l'hypothétique. Le non-dit éclaire les vraies intentions. Pour l'UE, les pays de l'Est sont des voisins européens, tandis que nous demeurons des voisins de l'Europe. Le distinguo est de mise. Et il faut le rappeler de temps en temps. Les termes du «vaste agenda de coopération», incluant le lancement récent du «Dialogue pour la migration, la mobilité et la sécurité» sont éloquents. Les approches des migrations sont corollaires des impératifs de sécurité. En soi, cela en dit long sur les frémissements et la frilosité européenne. Il fut un temps, avant le concile de Nicée (en 325 de notre ère), où les dissensions entre chrétiens étaient régies par le principe «intolérance pour les idées, tolérance pour les personnes». Aujourd'hui, dans nos rapports univoques avec l'UE, c'est «intolérance pour les personnes, tolérance pour les marchandises et les capitaux». Des principes du libéralisme, l'UE ne semble retenir avec nous que les seuls impératifs de libre circulation des capitaux. Qui plus est sur la base d'un échange inégal, vicié à la base. Que, à trois semaines d'intervalle, l'Union européenne «félicite la Tunisie pour la tenue des premières élections démocratiques pour l'Assemblée constituante», c'est, disons, louable. Mais on attendait plus que des félicitations même tardives, ou le rappel d'engagements pris, en partie, avant la Révolution du 14 janvier 2011. Jusque-là, le signal fort fait défaut. En ces temps où la gloire fait peur et les espoirs suscitent les grimaces, cela n'est guère pour étonner. Quiconque a des yeux pour voir peut scruter l'air du temps. Il est vrai que sur le chapitre de la crise grecque, Bruxelles a mis à mal le voisin européen. Le voisin de l'Europe, lui, ne saurait réclamer le traitement de faveur là où le maître de céans malmène les siens propres.