Les Rencontres de Bamako, biennale africaine de la photographie contemporaine, sont la principale manifestation consacrée à la photo et à la vidéo africaines. Un hommage y a été rendu aux révolutions tunisienne et égyptienne. La capitale malienne Bamako se livre aux visiteurs sous l'apparence d'un grand marché, un immense bric à brac où l'on vend des chinoiseries ramenées de l'autre bout du monde et des pièces de rechange récupérées de carcasses d'engins ou d'ordinateurs déversés en Afrique comme dans un ultime dépotoir de l'Occident. C'est dans cette ville de près de 2 millions d'habitants, grouillante de monde du matin au soir, que se tiennent depuis dix-sept ans les Rencontres de Bamako : le rendez-vous incontestablement le plus important de la photo africaine. Organisées chaque deux ans par le ministère de la Culture du Mali en collaboration avec l'Institut français et avec le soutien de l'Union européenne, les Rencontres, qui accueillent critiques, collectionneurs, galeristes, commissaires d'expositions, responsables de musées et de foires d'art venus du continent mais également d'Europe et d'Amérique, ont favorisé la reconnaissance internationale de la création africaine contemporaine dans les domaines de la photo et également, depuis 2007, de la vidéo. 280 images sur le développement durable Pour cette neuvième édition, inaugurée le 1er novembre dernier et qui se poursuivra jusqu'au mois de janvier 2012, les deux directrices artistiques de la biennale, Michket Krifa et Laura Serani, ont choisi comme thématique à l'exposition panafricaine : «Pour un développement durable». Parmi les divers évènements programmés par les Rencontres, ateliers, expositions monographiques, tables rondes, projections de films et de portfolios, «la Panafricaine» reste probablement le moment le plus attendu par les artistes et par le public. Y être sélectionné ressemble presque à une consécration pour les créateurs, y figurer concentre sur vous l'attention du public et des spécialistes. Sur les cimaises des salles d'expositions temporaires du Musée national du Mali, les deux commissaires, Michket Krifa et Laura Serani, ont réuni 45 photographes et 10 vidéastes issus de 27 pays. Avec environ 280 images, la Panafricaine présente un riche panorama de la scène photographique africaine avec l'émergence d'une nouvelle génération qui a su évoluer d'une photo documentaire et journalistique à une image imprégnée d'une grande force esthétique, métaphorique et symbolique. Les démarches vont du simple témoignage par rapport à une réalité dominée par les inégalités et le partage inéquitable des richesses à une dénonciation d'un état des lieux des plus inquiétants avec sa litanie d'horreurs et de dégâts : épidémies, famines, appauvrissement des hommes et des paysages naturels. La photo est ici engagement et instrument politique pour rêver un monde meilleur. Elle ressort ainsi de la magnifique série «La maison de l'arbre» du Marocain Khalil Nemmaoui, du travail très plastique du Ghanéen Nyani Quarmyne, de l'Ivoirien François-Xavier Gbré, du Sénégalais Omar Victor Diop et de la Martiniquaise Elise-Fitte Duval et de la profondeur de l'œuvre du Sud-Africain Daniel Naudé explorant des portraits d'animaux sauvages soumis au regard du photographe. Les artistes de la première révolution digitale La photo a également joué ce rôle pendant les révolutions arabes à qui Bamako a rendu hommage en demandant à deux artistes, Faten Gaddès de Tunisie et Khaled Hafez d'Egypte, de réaliser chacun un DVD composé de vidéos, photos, dessins, animations d'artistes tunisiens et égyptiens : «Liberté quand tu nous tiens» (Tunisie) et «Field Statements» (Egypte). Les moments forts des deux révolutions y sont restitués dans l'émotion que les soulèvements des peuples ont provoquée chez les artistes de tous bords, qui ont pris part aux manifestations contre les régimes déchus. Si Faten Gaddès a su saisir avec beaucoup de sensibilité et d'esprit toute l'effervescence créative de ce moment, Khaled Hafez nous fait découvrir tant de jeunes artistes, «qui ont réussi à vivre, à survivre et à créer la première révolution digitale de l'Histoire», note-t-il. Deux autres expositions ont été programmées sur les mêmes évènements. D'abord, «Artocratie», projet basé sur le concept du photographe français JR, connu pour son exploitation de l'espace public comme lieu d'exposition de portraits géants, et dont l'équipe tunisienne, six photographes en tout, a couvert les murs du pays de posters d'enfants, de personnes âgées, de femmes rurales, de soldats...Une mosaïque de personnages riant et grimaçant pour se substituer avec humour à la sempiternelle photo officielle de l'ex-président Ben Ali. Ensuite, «Uppekkha», images délicatement kitsch de l'Egyptienne Nermine Hammam, qui, dans un élan de tendresse envers l'armée fidèle au peuple et à sa révolution, a transposé ses jeunes soldats pleins de fragilité et de doute dans des paysages de rêve puisés dans ses fonds de vieilles cartes postales représentant des montagnes suisses enneigées, des forêts chinoises, une vue fleurie sur le Nil... Que retiendra l'Histoire des photos des révolutions? Beaucoup d'interrogations ont été posées par les artistes arabes présents à Bamako lors de la table ronde organisée sur le thème des révolutions de janvier 2011 : Faten Gaddès, Sofia Baraket, Hichem Driss, Lotfi Ghariani, Khaled Hafez, Ahmed Al Shaer et Marwa Adel. Comment se démarquer des images diffusées en boucle sur les réseaux sociaux et les chaînes télé satellitaires? Quelles images resteront de cette matière déversée en flots dans les médias? Quel a été le rôle de la photo au cours des révolutions? Quelles ont été ses limites également ? Et même si à l'exception de quelques cas, les images de ces évènements, qui ont bouleversé le monde, se prêtent plus au photo-reportage qu'a une production artistique allant au-delà des frontières et des individus pour croiser l'universel —ce travail-là demandant de la distance, du temps et surtout du silence— les clichés inspirés des soulèvements des peuples arabes pour la dignité et la liberté ont émaillé également l'exposition panafricaine. La belle série en noir et blanc de Mouna Karray, photographe tunisienne vivant ente Paris et Tunis, reprend le thème du vendeur ambulant africain, clin d'œil au jeune Bouazizi dont l'immolation par le feu a embrasé un pays, qu'elle traite en plans serrés zoomant sur l'équilibre précaire de sa charge. Toujours dans cette perspective d'une ville qui génère pour son «développement durable» les instruments de lutte contre la dictature, Lotfi Ghariani, jeune photographe tunisien a saisi les instants clés d'une foule en délire le 14 janvier devant le ministère de l'Intérieur. Originale et d'une grande fraîcheur est la démarche de la TunisienneSofia Baraket, qui a choisi l'anecdote pour raconter la Tunisie post-révolutionnaire en attente de lendemains meilleurs. Ses images des déchets mécaniques entassés dans une banlieue de Tunis, trafic anciennement détenu par la famille de l'ex-président et qui avait ses propres lois, police et réseaux de distribution, restent aujourd'hui comme suspendues, dans l'expectative d'un avenir... Les révolutions arabes ont également été abordées par des vidéastes non pas uniquement arabes mais également africains tel le Malien Bakary Diallo, qui, dans «The light», renvoie un message de solidarité aux peuples dont la démocratie éclaire désormais la vie et le chemin.