Pour quelqu'un qui se «mit à écrire pour vaincre l'oisiveté», Abdelkarim Bettaieb nous offre une œuvre attachante et agréable à lire, autant par le style que par le contenu. Dans ses mémoires, intitulés Le médecin et le despote, c'est le récit d'une vie que l'auteur nous livre, tout en veillant à choisir les épisodes les plus pertinents et les faits les plus marquants. Abdelkarim Bettaieb est un ancien professeur à la faculté de Médecine de Tunis et chef de service de neurologie. Cette spécialité qu'il a choisie sur incitation du gouvernement lui permit de devenir un pionnier au parcours original. Croit-on jamais assez au destin ? Il semble bien que tout prédestinait l'enfant de Ben Guerdane à ne pas suivre un chemin de vie ordinaire. Sa scolarité, sous le protectorat français et avec des instituteurs d'horizons divers, et les déménagements imposés par la fonction de son père ont contribué à forger sa personnalité et à le lancer sur les sentiers du savoir. Il vient de cette génération de médecins qui faisaient de leur grande culture un outil de travail supplémentaire et une richesse indispensable à leur discipline. Ses études au lycée Carnot ont été marquées par la Seconde Guerre mondiale. Pendant cette période, le sud tunisien a été l'un des champs de bataille entre les Alliés et l'armée de Mussolini. En 1947, il réussit le concours d'entrée à la faculté de médecine de Paris. Il en sortira spécialiste en neurologie pour une longue carrière dans les hôpitaux de Tunisie et dans l'enseignement universitaire, avant d'être injustement limogé de ses fonctions de chef de service de neurochirurgie — service qu'il a créé — après le coup d'Etat de 1987 de Ben Ali. Commence alors une nouvelle ère qu'Abdelkarim Bettaieb vivra en exil, au Koweit où lui et son épouse finiront par fuir l'invasion irakienne de 1990, en Normandie, puis le retour à Tunis, et ce livre. «Ecrire ses mémoires, c'est d'abord évoquer les souvenirs de sa vie socio-professionnelle et de son rôle public. Le mémorialiste est un témoin de son temps. Il s'astreint à dire la vérité et se soumet à la responsabilité d'un historien». C'est ainsi que l'auteur résume si bien son œuvre, dans l'introduction. Dans Le médecin et le despote, son parcours de vie est comme un autoportrait peint sur le fond de tous les événements historiques dont il a été témoin, depuis la colonisation jusqu'à l'indépendance, la construction du pays et le coup d'Etat de 1987. C'est également un récit de voyage où l'on découvre, grâce à l'œil avisé et l'intelligence d'un praticien, des spécificités culturelles et sociales de pays si différents du nôtre. Le style universitaire ne manque pas dans l'écriture d'Abdelkarim Bettaieb. Il ne fait point l'économie de remarques et de recommandations, pour l'amélioration du niveau des études et de plusieurs autres domaines en Tunisie, sans doute dans l'espoir d'être un jour entendu. Comme il semble rappeler indirectement, par les nombreuses citations dans il fait usage, l'importance de la lecture dans le façonnement de l'esprit, à laquelle il doit sûrement son aisance à l'écriture.