Par Jawhar CHATTY A deux reprises et en l'espace de deux mois, la Banque centrale de Tunisie a baissé d'un point de pourcentage son taux d'intérêt directeur pour le ramener à 3.5%. Ce volontarisme semble aujourd'hui relativement sans effet sur la sphère de l'investissement privé puisque, en toute vraisemblance, le taux de croissance sera de 0% et même négatif et le taux de chômage de plus de 18% à la fin de l'année 2011. Pourtant, en poussant jusqu'à ses dernières limites la baisse du taux directeur, l'autorité monétaire fait montre d'un rare pragmatisme dicté par une conjoncture économique nationale et internationale particulièrement difficile. L'objectif recherché était la stimulation de l'investissement en tant que moteur de la croissance et de la création d'emplois. Cet objectif a été fixé en veillant , et ce n'est guère facile, tout particulièrement à la stabilité de la monnaie nationale et à la stabilité du pouvoir d'achat. C'est ce pragmatisme monétaire qui a tout de même évité le pire à l'économie nationale et qui n'aurait été possible sans une certaine liberté de manœuvre et une indépendance certaine de l'autorité monétaire vis-à-vis des politiques et du gouvernement. Aujourd'hui, c'est cette indépendance que revendique la Banque centrale. Inquiète par les propositions tendant à la soumettre à l'autorité du gouvernement, la BCT a appelé à la consolidation de son indépendance en l'inscrivant dans la loi organisant les pouvoirs publics et en l'inscrivant dans la Constitution, soulignant «la nécessité de fixer les critères de nomination et de révocation du gouverneur, de la désignation des membres du Conseil d'administration ainsi que les modalités d'intervention et de contrôle et les mécanismes de responsabilisation et d'évaluation de l'efficience de la Banque». L'indépendance revendiquée est donc à la fois politique et économique. Politique, en ce sens qu'elle interdit toute interférence du pouvoir politique sur les décisions prises par l'autorité monétaire tout autant que toute influence du gouvernement sur l'organisation institutionnelle de la Banque centrale. Economique, cette indépendance serait le synonyme d'un libre choix des objectifs fixés et des instruments utilisés et d'une impossibilité de financer le déficit budgétaire des gouvernements par la création monétaire. En effet, que ce soit en raison de l'incohérence temporelle de ses décisions ou de sa propension à générer des cycles politico-économiques, un gouvernement, quel qu'il soit, aurait une tendance naturelle à gérer peu efficacement la politique monétaire, eu égard à l'objectif de stabilité des prix. De fait, la théorie prête à une banque centrale indépendante la crédibilité qu'un gouvernement n'a pas concernant la gestion de la monnaie et qui chercherait à relancer l'économie au prix d'une inflation plus forte. Il est par ailleurs empiriquement établi que l'indépendance des banques centrales se traduit par une meilleure performance en termes de stabilité des prix. Autre avantage, et non des moindres, une banque centrale indépendante ne peut plus faire fonctionner la «planche à billets» pour financer le déficit et la dette publics. La perte de cet instrument monétaire comme moyen de faire face à un endettement excessif est en principe propre à amener les gouvernements à plus de prudence et de modération dans la mise en œuvre de leur politique budgétaire. L'indépendance de la Banque centrale aurait ainsi un impact «disciplinant» sur les finances publiques. Cependant, si la stabilité monétaire, la stabilité des prix et la discipline budgétaire sont autant de bienfaits qu'apporterait l'indépendance de l'autorité monétaire, l'on ne peut ignorer l'impact qu'aurait le jeu non coopératif entre gouvernement et Banque centrale sur une économie qui se cherche encore et qui est en quête de croissance. L'indépendance de la Banque centrale entraîne la perte d'un instrument de politique économique. Spécialiser la Banque centrale dans la lutte contre l'inflation et la rendre indépendante des autorités budgétaires, c'est accepter une affectation rigide des instruments aux objectifs. Peut-on se le permettre pour une économie en crise ? Poser la question en ces termes, c'est évidemment y répondre, mais c'est aussi une manière de défendre le principe de l'indépendance de l'autorité monétaire dans la perspective d'un rebond , à moyen terme, de la croissance de l'économie nationale.