Par Rakia Moalla Fetini* Faisant écho à la lettre ouverte adressée per certains fonctionnaires de la Banque Centrale de Tunisie (BCT) aux membres de la Constituante, l'article de M. Sadok Belaid, paru dans La Presse du jeudi 8 décembre, a le mérite d'exprimer clairement le grief de certains par rapport au projet de loi sur l'organisation des pouvoirs politiques en ce qui concerne la gouvernance de la BCT. Selon M. Belaid «Le principe universellement admis dans ce domaine est celui de l'indépendance de cette institution financière et monétaire vitale. Le maintien de l'article 16, alinéa 6, actuel se traduira inévitablement par la perte par la Tunisie de la confiance des opérateurs économiques nationaux et de celle des marchés financiers internationaux et celle des agences internationales de notation...». L'article 16, alinéa 6 auquel il se réfère stipule que le chef du gouvernement nomme le gouverneur de la BCT après consultation avec le gouvernement et après en avoir informé le président de La République. M. Belaïd n'explique pas en quoi l'article 16, alinéa 6 serait une infraction à l'indépendance de la BCT, ni ne nous dit quel autre arrangement sauvegarderait cette indépendance. Avant de prédire un cataclysme financier, discutons calmement et sereinement des deux questions suivantes : La première question est de savoir si le gouvernement sorti des urnes a le droit de nommer un nouveau gouverneur de la BCT ou bien si cela serait une violation de l'indépendance de la BCT. Dans toute démocratie, la Banque centrale est le quatrième pouvoir à côté des pouvoirs exécutif, législatif et judicaire. En tant que tel, son pouvoir doit émaner du peuple et être soumis à son approbation, à sa surveillance et à sa sanction. Au lendemain de la chute de l'ancien régime, la Tunisie a mis en place des structures de gouvernance provisoires, y compris à la BCT, en attendant d'organier des élections. Maintenant que des élections — peu contestées dans l'ensemble — ont abouti à la sélection des nouveaux élus du peuple, il est de leur devoir et de leur responsabilité de choisir un nouveau gouverneur et de nouveaux membres du conseil d'administration. Ne pas exercer ce droit serait aussi absurde que de renoncer au droit de former un nouveau gouvernement en optant pour la reconduction du gouvernement provisoire de Béji Caïd Essebsi. Dans toutes les démocraties du monde, le gouverneur de la Banque centrale et son conseil d'administration sont nommés par les instances politiques du pays. Les débats à propos de l'indépendance de la Banque centrale ne portent pas sur ce principe – car il est accepté par tout le monde – mais touchent d'autres aspects ayant trait à la mission de la Banque centrale, à sa gestion et aux systèmes de surveillance et de sanctions. Si nous sommes d'accord pour dire que les nouvelles autorités politiques du pays doivent nommer le gouverneur de la BCT (et les membres de son conseil d'administration), la deuxième question est de savoir comment le faire. La loi du 19 septembre 1958 portant création et organisation de la BCT stipule que le gouverneur et les membres du conseil d'administration sont nommés par décret présidentiel. Il serait prématuré de changer cette loi avant d'avoir choisi la nouvelle structure des pouvoirs politiques c'est-à-dire avant d'avoir adopté une nouvelle Constitution. En effet, dans les régimes présidentiels, la prérogative de nommer le gouverneur de la Banque centrale revient le plus souvent au président de la République alors que dans certain régimes parlementaires, comme en Allemagne Fédérale et en Turquie (où le président de la République n'est pas élu au suffrage universel), cette décision revient au gouvernement. Donc, en attendant d'adopter une nouvelle Constitution, le projet de loi sur l'organisation des pouvoirs politiques durant la transition fait bien de prévoir une solution transitoire concernant la nomination du gouverneur de la BCT. Celle qu'il propose n'est pas plus mauvaise qu'une autre. Elle pourrait être renforcée par trois mesures supplémentaires. D'abord demander à ce que les nominations du gouverneur et des membres du conseil d'administration soient confirmées par l'Assemblée constituante, par vote et après une audition publique – sachant qu'une telle pratique est en voie d'être généralisée dans de nombreux pays. Ensuite, prévoir pour le nouveau gouverneur de la BCT deux passages par an devant l'Assemblée constituante pour être entendu sur l'état de l'économie et de l'activité de la Banque centrale. Troisièmement, il serait bon de donner au gouverneur un mandat décalé par rapport à celui du nouveau gouvernement pour assurer un certain déphasage de la gouvernance de la BCT par rapport au cycle des élections. Aux Etats-Unis, par exemple, il y a un décalage d'un an entre le mandat du Chairman de la Réserve Fédérale et celui du président de la République, qui sont l'un et l'autre de quatre ans. Pour conclure, il est clair que les marchés financiers honnêtes du monde entier — je dis bien honnêtes par opposition aux magnats sans scrupules qui ont entraîné la ruine de millions de ménages aux Etats-Unis et sont directement responsables de la mise au chômage de millions de travailleurs — n'auront aucune raison de s'inquiéter de voir un peuple fier et confiant demander à ses élus de nommer le gouverneur de sa Banque centrale. Et nous, peuple tunisien, nous aurons toutes les raisons de nous inquiéter si ce cours n'est pas choisi parce que ceci signalerait, peut-être, l'absence d'un projet de réforme économique pour lequel nous avons fait une révolution. Ce projet doit se baser sur une nouvelle stratégie de développement, y compris un nouveau cadre macroéconomique dont la politique monétaire constitue un pilier essentiel.