C'était hier que la révolution populaire de la dignité et de la liberté a soufflé sa première bougie à Sidi Bouzid. Tout au long de l'artère principale portant le nom d'El Bouazizi, une foule considérable s'était massée, surtout aux abords du siège du gouvernorat. Que de monde ! Jeunes et moins jeunes, hommes et femmes étaient là, venus des quatre coins du pays partager avec leurs frères et concitoyens des moments si forts et si touchants. Une date mémorable de l'histoire de la nouvelle Tunisie, celle du 17 décembre 2010. Bien que festive, l'ambiance était également électrique, frôlant parfois l'anarchie. Au commencement, quelque 17 coups de canon ont été tirés pour annoncer le démarrage du premier festival international de la révolution, dont les festivités se poursuivent jusqu'à demain. Sous un crépitement de flashs et sous les caméras, le nouveau président élu, M. Moncef Marzouki, a prononcé un discours au ton rassurant et optimiste, suivi de celui de M. Mustapha Ben Jaâfer, président l'Assemblée constituante, qui était, lui aussi, soucieux de marquer une volonté de s'attaquer aux difficultés de la situation actuelle, à savoir la justice sociale, le développement équitable, l'emploi pour les jeunes... Des promesses qui ont été faites en signe de fidélité à la mémoire des martyrs de la région. Dans le même temps, des cris ont retenti, réclamant justice, dignité et travail pour que cette région, encore en deuil, prenne enfin son envol à ailes déployées. Les banderoles déployées ici et là expriment tant d'attentes et d'aspirations. D'autres slogans, scandés par des personnes membres d'associations, appellent aux valeurs de la citoyenneté et dénoncent également l'injustice, la fracture sociale et toute forme d'exclusion: «On veut une Tunisie sans injustices», «Emploi, liberté et dignité», «17 décembre : la révolution de la liberté»... Ce dernier slogan exprime une revendication, qui signifie qu'on ne croit pas en la date du 14 janvier. Neziha Rjiba, alias Om Zied, journaliste et femme démocrate, s'exprime à ce sujet : elle est pour une date consensuelle autour de laquelle s'accordent tous les Tunisiens. «17 décembre ou 14 janvier, l'essentiel est d'être fier de cette nouvelle Tunisie démocratique », souligne Ahmed, fonctionnaire, issu de l'une des régions voisines. Prenant d'assaut l'enceinte du gouvernorat, des jeunes protestataires donnent de la voix : ils se plaignent de leur sort et revendiquent le plus rapidement possible l'amélioration de leur situation. Les voix d'insatisfaction émanant des jeunes en détresse se font entendre par-dessus les toits des maisons et des bâtisses publiques. Personne ne semble être content de ce qui se passe dans l'appareil de l'Etat. «Beaucoup des dossiers lourds sont encore en suspens, rien n'a été réalisé jusqu'à ce jour», déclare Béchir, jeune diplômé, originaire de la région. Quant à Ali Chafroud, président de la Commission consultative des sages de Regueb, il formule quelques revendications portant principalement sur la majoration des pensions des anciens résistants de la région, la rectification des listes des martyrs et l'appel à la patience afin que le nouveau gouvernement puisse arriver au bout des problèmes...De l'autre côté, des débats et des cercles de discussions se forment ici et là, sur fond d'échanges polémiques, autour des priorités de l'action gouvernementale dans les jours à venir. Des familles sont là aussi. Elles portent haut les photos de leurs fils martyrs, réclamant justice pour le sang versé. Et la célébration se poursuit, sans ordre du jour précis. L'heure sonne alors 11h35. Un groupe de jeunes a commencé à brûler un poster géant représentant le président déchu, dans une tentative de reproduire le geste par lequel le jeune chômeur Mohamed Bouazizi s'est immolé par le feu, le 17 décembre 2010. Un acte de vengeance symbolique, pour ainsi dire. Et l'après-midi a été également marqué par des spectacles d'animation à travers la ville, sans programme bien défini. Aujourd'hui, dimanche, cette première édition du festival international de la révolution populaire aura certainement un autre goût.