Révolution an I, jour pour jour, à l'avenue Habib Bourguiba. L'artère principale de la capitale est fermée à la circulation. Les «manifestants», mêlés les uns aux autres, occupent dès le matin les lieux pacifiquement, qui en familles, qui en groupes d'amis, qui en rassemblements partisans de différentes sensibilités. Les banderoles et les slogans en révèlent les couleurs, les haut-parleurs en donnent le ton. Les représentants du Parti ouvrier communiste tunisien appellent (entre autres revendications) au blocage des prix à la consommation pour au moins deux années, à une indemnité du chômage équivalente au moins aux deux-tiers du Smig et à la multiplication du logement universitaire. Face au ministère de l'Intérieur, barricadé par les forces de l'intérieur et isolé par les fils barbelés, les militants du Parti du travail populaire démocratique crient «le peuple veut la justice sociale et la dignité», premiers objectifs de la révolution, non encore atteints . En allant vers le centre de la foule, les cercles de discussion deviennent plus passionnés, plus orientés, plus politisés. Gauche et droite se donnent la répartie profitant de l'occasion pour engager des débats improvisés sur des questions restées apparemment en suspens. Un membre du Poct et un autre d'Ennahdha discutent, se disputent presque, sur les propos de Hamadi Jebali qui selon le premier aurait qualifié Israël «d'Etat démocratique». A côté, deux représentants de l'association Nida Ethaoura (Appel de la Révolution), deux grands «barbus» demandent des éclairages à un troisième «barbu» sur ce qu'ils considèrent être «une déviation d'Ennahdha quant à son refus d'inscrire dans la nouvelle Constitution le rejet de la normalisation avec Israël, et quant à l'ingérence qatarie dans la politique intérieure tunisienne». Le ton monte, les gorges s'échauffent, mais sans plus. Au milieu de la foule, des hommes et des femmes, membres de l'association Initiative citoyenne, font leur travail de proximité. Ils proposent à un dinar l'unité des cartes postales, conçues à l'occasion pour être envoyées aux élus de la Constituante afin de leur rappeler le délai d'un an pour achever le travail, à savoir l'élaboration d'une Constitution dont le texte devra contenir tous les droits et les attentes auxquels aspirent les Tunisiens. Ce sera le principal slogan du mouvement citoyen Doustourouna qui appelle également à une information libre et plurielle. Plus loin, un stand aménagé sommairement abrite l'association des SDF (sans domicile fixe). Ses représentants vendent des tee-shirts pour récolter des fonds et appellent à la solidarité des Tunisiens pour assurer des abris aux démunis. Les représentants du mouvement Ennahdha, très nombreux, occupent, quant à eux, les escaliers du Théâtre municipal et débordent sur le terre-plein. Leur manifestation, très animée (chants, slogans) s'étale sur de longues heures. Les marthyrs, la Palestine et le désormais mythique «Dégage» reviennent comme un refrain aux nombreuses chansons fredonnées à la gloiree des révolutions arabes. En face, sur l'esplanade de l'hôtel International, les familles de blessés libyens avec femmes et enfants portent eux aussi des banderoles appelant les autorités libyennes à les prendre en charge et à leur fournir l'aide nécessaire aux soins. Le 14 janvier 2011, la foule avait assiégé «l'Avenue» pour scander d'une seule voix la chute du régime. Hier, les Tunisiens libres avaient assiégé leur «avenue», enfin reconquise, pour célébrer la révolution sous les couleurs de la démocratie. La journée sera longue.