En grève générale depuis vendredi dernier, les habitants de Makthar pensent que les objectifs de la révolution populaire du 14 janvier sont restés lettre morte. Ils laissent entendre, également, que «l'art d'ignorer les pauvres» n'a jamais eu de cesse à l'ère du régime déchu et semble continuer par les temps qui courent. Pour eux, «les vieux, les pauvres, les sans soutien familial, somme toute, les catégories sociales démunies sont toujours abandonnées sur les bas-côtés de la route». Rencontrés hier, à l'orée d'une ville complètement handicapée, où tous les commerces sont clos, à l'exception de l'hôpital local, des pharmacies et des boulangeries, ils se sont confiés à La Presse donnant libre cours à des mots et des maux. Mardi 13h.30, Makthar est fort semblable à une forteresse inaccessible à ses visiteurs et interdite de passage. Toutes les entrées vers la ville sont fermées et les lieux auraient été invivables n'eût été la sagesse de certains et le peu d'espoir animant des hommes en colère et une population mutilée par l'attente. Séjournant dans des tentes exposées au vent et sous un froid glacial, les centaines de protestataires rencontrés sur les lieux revendiquent la création de postes d'emploi, la partition du gouvernorat de Siliana en deux et la création du gouvernorat de Makthar pour une décentralisation de l'administration ainsi qu'une meilleure dynamique de développement. Ils revendiquent aussi l'amélioration des services fournis par l'hôpital local, la mise à niveau de l'infrastructure de la région, l'approvisionnement de la ville en gaz naturel, l'extension du musée, la titularisation des ouvriers travaillant sur les chantiers, l'appui de l'Etat en matière de carburant brut servant pour le réchauffement de leurs demeures et l'amélioration des recrutements des fils de la région dans la Fonction publique. «Marginalisés depuis l'époque bourguibienne pour avoir été yousséfistes (partisans de Salah Ben Youssef, rival politique du président Bourguiba) nous avons constamment sombré dans la panade. Bourguiba nous a toujours ignorés et Ben Ali n'a fait qu'enfoncer le clou. Après la révolution du 14 janvier, nous nous sommes attendus à ce que les choses bougent espérant un traitement sur le même pied d'égalité pour tous les Tunisiens. Or, ce n'était pas le cas et les regards et l'attention des décideurs se sont uniquement focalisés sur Sidi Bouzid et Kasserine. Mais il n'y a pas que les habitants de ces deux régions qui mènent des conditions précaires en Tunisie. En parlant de projets, les membres du gouvernement ne s'intéressent qu'à ces deux gouvernorats ignorant le reste des régions y compris la nôtre. C'est comme s'ils voulaient nous faire croire que nous ne sommes pas nécessiteux et que le blé nous suffit pour survivre. Nous déplorons cette sorte de ségrégation entre les fils de la même patrie. Une patrie pour laquelle notre loyauté n'a jamais battu de l'aile. L'histoire et les colons en sont témoins», font remarquer Meher Ben Amor et ses compagnons, avec l'acquiescement du reste des grévistes. Pour une meilleure stratégie de développement Les protestataires rencontrés à Makthar confirment tous que la résolution de leurs problèmes sociaux n'est point tributaire d'une simple aide occasionnelle, mais plutôt, d'une bonne stratégie de développement. Et ce, en encourageant les investisseurs à s'implanter dans la région. «Makthar compte deux salles de sports multidisciplinaires toujours inexploitées et deux terrains de foot. Alors que les opportunités d'emploi sont quasi inexistantes. C'est un paradoxe qui fait rire, voire, une ironie du sort. On a trois usines fermées (spécialisés dans la fabrication d'équipements agricoles) dont les propriétaires ont été livrés à eux mêmes pendant qu'ils traversaient des conditions difficiles. L'Etat aurait dû les soutenir afin de préserver les postes d'emploi qu'ils assurent. Un an après la révolution du pain et de l'emploi, ces usines sont toujours inexploitées. Mais, on peut les transformer en usine de produits laitiers, une autre de pâte et une usine de textile par exemple. Les idées sont là et tout type de projet peut réussir à Makthar, mais, c'est la volonté et la détermination des décideurs qui manquent», observe Jamel Eddine Ben Madhkour, jeune diplômé en sciences de l'informatique avant d'ajouter que les parties concernées ont toujours fermé la porte à son nez avant et après la révolution refusant de le soutenir pour créer son propre projet. Les contestataires ont également la ferme conviction que leur région est dotée d'un grand potentiel touristique toujours mal exploité en l'absence d'une stratégie adaptée aux spécificités civilisationnelles et au patrimoine archéologique de la ville. De ce fait, ils appellent à la création d'un grand projet touristique sur la base d'un circuit culturel reliant Makthar et Kesra. Ce qui favorisera la création davantage d'opportunités d'emploi afin de mieux résorber le taux de chômage élevé. De leur côté, les femmes protestataires présentes sur les lieux scandant des slogans dans le style «Le gouvernement en fête et Makthar brûle», «Les femmes de Makthar se sont soulevées contre la marginalisation » et « Makthar gouvernorat», revendiquent leur intégration dans le cycle économique de la région. «A cause de la rareté des postes d'emploi ici, la majorité de nos femmes et filles ont quitté vers la région du Sahel à la recherche d'un gagne-pain susceptible d'éloigner d'elles et de leurs familles cet ogre qu'est la misère. Deux usines suffiront pour rendre Makthar une ville où il fait bon vivre. Seule une réponse favorable à nos revendications mettra un terme à cette grève générale». Il convient de préciser, au demeurant, que la grève générale organisée par les habitants de Makthar se déroule aussi paisiblement que civiquement, et n'a provoqué aucun acte de vandalisme comme confirmé par le chef du poste de police de la ville.