Par Soufiane BEN FARHAT Un peu partout en Tunisie, la colère gronde. Ces derniers jours, la situation est marquée par une recrudescence des mouvements protestataires. Ceux-ci embrasent diverses régions et secteurs. Il n'est plus rare de voir certains citoyens exprimer par moments démesurément leur mal-être. L'action, dit-on, égale la réaction. C'est même l'une des lois essentielles de la physique. Mais les tempéraments n'obéissent pas forcément à la mécanique des pierres et des montagnes. Les rapports de force et les subtilités de la persuasion sous-tendent les relations humaines. Par-delà les quiproquos et les malentendus, certaines postures n'en finissent pas de jeter de l'huile sur le brasier déjà incandescent de l'incompréhension. La Tunisie post-électorale semble parfois fracturée. Il y a, d'une part, le camp de la majorité gouvernementale chapeauté par la Troïka, le mouvement Ennahdha en prime. Il y a, d'autre part, tous les autres. C'est-à-dire l'opposition, les syndicats, les associations et divers représentants de la société civile. Comme tout gouvernement nouvellement installé, la Troïka en a appelé à une espèce de trêve. Le terme est en soi inexact, dans la mesure où nous ne sommes pas en guerre ou dans une confrontation ouverte. Mais le pouvoir a ses raisons que la raison ignore. Toujours est-il que les Tunisiens semblent aujourd'hui diverger sur cette question des protestations, grèves, mouvements sociaux, barrage des routes et en zones névralgiques. Les uns désapprouvent viscéralement, visiblement exaspérés par la multiplication de telles manifestations. D'autres s'y adonnent à loisir, impunément et en désespoir de cause parfois. Un troisième groupe saisit le pourquoi de tels agissements mais désapprouve quelquefois le comment et les modalités d'expression du ressentiment ou de la colère. En somme, le débat n'est guère épuisé sur cette question épineuse. Les mouvements touchant certains secteurs économiques stratégiques en rajoutent souvent au marasme marqué par le renchérissement vertigineux des denrées et du coût de la vie en général, le recul de l'investissement, la nette et inexorable poussée du chômage, qui a déjà atteint des seuils catastrophiques. Cependant, certaines gens agissent bel et bien en désespoir de cause. Des pans entiers de la société, des régions entières, sont encore livrés à eux-mêmes, végétant dans l'ilotisme et la mal-vie, plus d'un an après le triomphe de la Révolution. Et ce qui en rajoute à la rage de certains, c'est que des groupes de «civils» se soient avisés de soutenir le gouvernement contre toute protestation, en contrant agressivement les protestataires parfois. Cela est le cas en maints endroits. Pour les frondeurs, il s'agit tout simplement de milices. Dans l'acceptation commune, les partisans d'un mouvement dans l'opposition sont de simples protestataires. Ceux d'un parti au pouvoir sont assimilés à des miliciens. Et les agissements de certains partisans du gouvernement épaulant par moments les forces de l'ordre ou s'improvisant forces de sécurité (agressions, noms d'oiseaux et violences) confortent leur qualification de troupes parallèles. Sur fond de crispation, l'incompréhension est de mise. S'ensuivent des heurts et de malheureuses altercations. C'est manifeste tant dans les rues et les places publiques que dans les zones industrielles et les campus universitaires. Certains corps sont plus visés que d'autres, tels les syndicalistes ou les journalistes. Et la blogosphère n'a de cesse de jeter de l'huile sur le feu. Véritable phénomène, certains réseaux sociaux, tel Facebook, sont devenus une véritable foire d'empoigne. On y voit tout. L'anonymat et l'impunité aidant, on y trouve même des appels au lynchage en bonne et due forme. Visiblement, la convivialité et la cohésion nationales semblent par moments au bord du gouffre. Il y a certainement péril en la demeure. La Maison Tunisie étale, parmi ses enfants, les excroissances perverties de l'incompréhension, du ressentiment et d'un certain potentiel de haine. L'action égale la réaction, a-t-on dit. La violence appelle la violence aussi. Comme le paratonnerre appelle la foudre.