Par Néjib OUERGHI D'une semaine à l'autre, le débat change de ton et de camp: du social au politique. L'accalmie remarquée dans les différentes régions, traduite par la baisse des tensions sociales (sit-in notamment) et l'amélioration des conditions sécuritaires (excepté l'incident terroriste de Bir Ali Ben Khalifa à Sfax) a laissé la place à des manifestations d'ire des journalistes et à un débat politique animé autour de principes se situant au cœur même du projet de société et du processus de la transition vers la démocratie qu'ambitionnent les Tunisiens. Des principes qui se réfèrent manifestement au rôle imparti à l'Etat, dans cette phase cruciale que traverse notre pays, en tant qu'arbitre et garant de la pérennité de l'ordre social. Ce questionnement est né des inquiétudes et de la peur nourries par la résurgence de formes de violences perpétrées contre les journalistes et les représentants d'organisations de la société civile à l'effet d'étouffer toute voix discordante qui ne partage pas une certaine vision, certains principes moraux ou certains choix politiques. Inquiétude de voir la force de la loi céder le pas à la loi de la force, le laxisme prendre le dessus sur des positions de principe claires et franches au sujet de questions cruciales qui ne supportent pas l'attentisme et, encore moins, la recherche du statu quo. L'enjeu est de taille: consacrer de facto l'égalité de tous devant la loi; voie la mieux indiquée pour ancrer la culture démocratique et les libertés fondamentales dans une société plurielle où tolérance et respect de l'autre devraient être des valeurs partagées. Les journalistes tunisiens ont, le 1er février, crié toute leur colère contre tous ceux qui tentent, par moult moyens, de leur confisquer leur liberté d'informer, exprimé leur refus de toute tutelle ou de toute manœuvre qui les condamneraient au silence. Ce mouvement, encore un, inédit, a regroupé toutes les composantes du paysage médiatique national — journalistes, organisations professionnelles, et tous ceux que la liberté d'expression interpelle. Il exprime, à la fois, une prise de conscience collective qui anime désormais cette corporation qui se trouve, aujourd'hui, unie autour de choix éthiques et professionnels et d'idéaux communs. Une union qui marque la volonté des gens des médias de rompre définitivement avec le passé, pour qu'ils n'aient plus jamais peur dans l'exercice de leur mission d'informer et pour que la libre expression des idées et des opinions soit consacrée et respectée. L'expression de la colère des journalistes, éprouvés par des actes d'intimidation répétitifs, d'humiliation et, de plus en plus, objet d'agressions que rien ne peut justifier, est un sursaut d'orgueil qui révèle toute l'importance, dans une démocratie en émergence, d'accorder à la presse le rôle et la place qui lui reviennent de droit. Assurément, les journalistes tunisiens sont investis, aujourd'hui, d'une responsabilité historique qui les habilite à être des témoins fidèles ayant pour mission essentielle d'éclairer l'opinion publique et de l'informer de façon libre et impartiale, sans contrainte ou instrumentalisation. C'est que la démocratie se construit dans le respect de la diversité, s'abreuve dans le débat pluriel et se renforce dans la convergence de toutes les bonnes volontés pour servir un seul intérêt: l'intérêt national. Dans ce jeu, qui supporte mal le laxisme et la duplicité du langage, il est des règles à respecter et des lignes rouges qu'il est interdit de franchir. Transgresser ces règles revient à transformer le politique en arène ou pugilat où la loi du plus fort, physiquement bien entendu, sera considérée comme la meilleure. A l'évidence, exercer des pressions, intimidations ou des agressions contre l'autre qui ne partage pas les mêmes options, choix ou vues, peut conduire à des situations douloureuses et à des manifestations dont l'issue est incertaine. Pour cette raison, la liberté d'expression et de parole qui fait aujourd'hui florès dans la Tunisie post-révolution ne peut et ne doit être l'otage de quelque partie que ce soit ou l'objet d'un quelconque fait accompli. Constat positif, même s'il est quelque peu tardif: le gouvernement de la Troïka est passé de la simple réprobation à des positions sans équivoque et, enfin, à l'action. Cette action doit être, seulement, énergique, claire et responsable. Combattre la violence et toutes les pratiques qui tentent de faire valoir la force physique en lieu et place de la force des mots exprime une intention manifeste de poursuivre la construction d'un modèle de société qui s'articule autour de valeurs consensuelles. Le sursaut d'orgueil des journalistes est, enfin, un signe qui ne trompe pas sur la vitalité retrouvée de ce corps longtemps resté inanimé et l'esprit de liberté et d'indépendance qui ne cesse de gagner son corps. Il vient à point nommé, à l'heure où l'Assemblée nationale constituante s'apprête à entrer dans le vif du sujet. L'élaboration de la nouvelle Constitution de la Tunisie dans laquelle les principes de liberté et d'indépendance des médias doivent, non seulement figurer en bonne place, mais être considérés comme principes intangibles.