L'exemple de Sfax est sympathique : qui fait quoi ? Et comment et où nos concitoyens considèrent-ils l'hygiène comme vitale ? La malpropreté est-elle en passe de devenir le trait caractéristique de nos cités? Sommes-nous devenus insensibles à la crasse et à la laideur? Est-il normal qu'un peuple dépositaire d'un patrimoine civilisationnel aussi prestigieux que le nôtre puisse s'accommoder d'un environnement aussi malsain et hideux? Les municipalités, étant débordées et impuissantes, vont-elles être amenées à lever définitivement le drapeau blanc, en signe de résignation et de reddition? Ou bien va-t-on quand même, dans un sursaut d'orgueil, avoir une réaction salutaire ? Ce ne sont là que quelques exemples de questions qui fusent à chacun de nos pas dans nos villes, nous assaillent, nous tourmentent et nous taraudent davantage encore, en présence de visiteurs étrangers. A Sfax, par exemple, le tableau, de plus en plus sombre en matière de manquement à l'hygiène, doit nous interpeller avec d'autant plus de vigueur que rien ne devrait excuser cette situation lamentable et dégradante. Explication : Cela fera bientôt soixante ans que le pays a recouvré son indépendance, c'est-à-dire plus d'un demi-siècle d'école tunisienne, de médias tunisiens, de gouvernance tunisienne. L'alibi du colonialisme ne pouvant plus être invoqué, nous devons faire notre mea-culpa et reconnaître que le bilan en matière de propreté n'a rien de reluisant.
Bilan Pourtant aux deux premières décennies de l'indépendance, l'évolution positive des mentalités présageait d'une marche résolue vers le progrès. Pourtant, les efforts actuels en matière de développement durable et de sauvegarde de l'environnement sont tangibles et indubitables. Le problème, cependant, c'est qu'on a toujours agi sur la matière et négligé la mentalité. Or agir sur la mentalité des citoyens ne saurait avoir suffisamment d'impact et d'efficience que si l'on intervenait de façon concomitante sur trois fronts : celui de l'éducation pour les enfants, celui de la sensibilisation pour l'ensemble des citoyens et celui de la dissuasion pour les contrevenants. Ce sont là le trépied, le support, ou si l'on veut, les ingrédients de la réussite de n'importe quelle action soucieuse de sa portée et de son efficience.
Sensibilsation Or, en Tunisie, on a pris la fâcheuse habitude de privilégier le volet sensibilisation avec au menu des slogans, des spots et des messages qui malheureusement, tombent dans la majorité écrasante des cas dans l'oreille de sourds. Sinon, comment expliquer l'invasion de notre paysage urbain par des ordures, des déchets de toutes sortes, des sachets en plastique, des détritus, des papiers, des cartons, des gravats ? Sinon, comment expliquer les scènes devenues coutumières, de sachets d'ordures ménagères catapultés, tenez-vous bien, de villas cossues, d'appartements de standing, dans le terrain vague qui jouxte la construction ou bien dans la villa avoisinante, encore en chantier, ou carrément dans la rue. Par qui, s'il vous plaît ? Par des dames qui dégagent une certaine prestance, ont des allures in et donnent l'impression d'avoir un certain niveau d'instruction. Sinon, comment expliquer les canettes de bière ou de soda , les boîtes de cigarettes vides, , les peaux de bananes, les écorces d'amandes, les pelures d'oranges, les papiers gras de casse-croûtes qui sont lancés par les occupants de voitures, parfois même de luxe, conduites par des adultes à l'air respectable, des dames au maintien chic ou des jeunes à la page et probablement d'un niveau d'instruction élevé ( le taux de scolarisation chez nous est supérieur à 99 % et nos universités comptent actuellement aux environs de 400 mille étudiants, qui seront bientôt 500 mille aux horizons de 2014). Sinon, comment expliquer certains autres actes que la décence nous empêche de mentionner sur ces colonnes ?
Paradoxe tunisien Pareilles scènes font partie, depuis quelques années, de notre vécu quotidien à tel point qu'on reste sidéré devant ce qu'on pourrait appeler le paradoxe tunisien, ( comme on parle de miracle japonais ! ), parce que le Tunisien est en général un bon vivant soucieux de son image, de son aspect, de sa toilette, de son élégance et de la propreté de sa voiture et de son environnement intramuros, c'est-à-dire, les frontières de son civisme et de la conscience qu'il a de la notion d'environnement. Dehors, il se permet de polluer, salir, souiller, dégrader, sans se faire trop de soucis. Drôle de mentalité !
Explications Par quoi s'explique ce paradoxe ? Il conviendrait à notre sens depointer un doigt accusateur vers l'école tunisienne où l'apprentissage du civisme ne va pas au-delà des écriteaux ou des inscriptions et autres slogans ornant les murs des établissements pour se donner bonne conscience. Il y a de quoi disserter aussi sur l'échec des comités de quartiers, qui semblent avoir baissé les bras depuis belle lurette, handicapés qu'ils sont par leur statut. Sans autonomie de gestion financière, déviant peut-être de leur mission originale, ils sont incapables d'impliquer ou de mobiliser la totalité des habitants et finissent par se contenter de faire de la simple figuration, à l'exception de cas rarissimes à travers le pays. Il y a aussi quoi dire sur l'attitude irresponsable de nombre de citoyens lesquels ont tendance à prendre le respect des droits de l'homme et le nouveau climat de démocratie dans le pays pour une sorte de blanc-seing ou une autorisation inconditionnée de bafouer la loi et de manquer à leurs devoirs envers la communauté.
Et la municipalité Le plus étonnant dans cette situation, c'est que nombre de citoyens n'hésitent nullement à jeter la pierre aux municipalités, qui ne sont pas, il est vrai exemptes de tout reproche. Au lieu de reconnaître ses torts, d'assumer ses responsabilités et de balayer devant chez soi, on a tendance à chercher des alibis, des faux-fuyants et des dérobades peu convaincants. Il est vrai, que le discours politique et les médias ont contribué largement au développement de cette mentalité à force de flatter le citoyen à tel point qu'il se voit renvoyer une image qui ne correspond souvent pas à la réalité. Celle d'une absence flagrante de sens de civisme, au moins chez une bonne majorité. La vérité, c'est qu'il faut chercher la cause réelle du manquement aux règles de civisme en nous-mêmes, citoyens, parce que jusqu'à preuve du contraire, la Tunisie est peuplée de Tunisiens. Et les municipalités dans tout cela ? A notre sens, le grief majeur à faire aux municipalités, a trait à leur laxisme manifeste en matière de sanctions. Pour le reste, elles sont handicapées par leur manque de fonds et de moyens et surtout par leur incompétence, juridiquement parlant, en matière de recouvrement de la taxe locative et bien sûr, les arriérés. A titre d'exemple, les données chiffrées sont là, bien têtues : les municipalités sont débordées et manquent de marge de manœuvre. Alors, que faire ? Méditons ces témoignages recueillis auprès de citoyens ou de fonctionnaires municipaux qui ont requis l'anonymat :
Abdennabi S, fonctionnaire municipal : " Les municipalités démunies " Les municipalités ne savent plus où donner de la tête. Non seulement elles n'ont ni fonds adéquats ni suffisamment d'autorité, mais de plus elles ne peuvent souvent que déplorer les dégâts provoqués par des actes d'incivisme, de vandalisme ou carrément de vol de corbeilles à papiers. L'exemple de l'avenue 18 janvier est à ce propos suffisamment éloquent. Sans citer les dépotoirs improvisés et qui pullulent aux coins des rues et aux terrains vagues, particulièrement dans les terrains vagues
Abdelkader M, employé municipal :" L'exemple coréen " Pourquoi ne pas suivre l'exemple de la Corée du Sud où la propreté et le traitement des déchets constituent une matière autonome, enseignée dans les écoles, tant il est vrai que les déchets ménagers sont une source de richesse nationale qu'il faut apprendre à gérer et à exploiter à bon escient, à travers le recyclage. Il est vrai que les Sud Coréens disposent de containers affectés à différents types d'ordures, mais les déchets organiques fermentescibles, sont séchés à la maison, pour en diminuer le volume, et consommer le moins possible de sachets en plastique. D'ailleurs, les Sud Coréens s'acquittent de leurs redevances municipales à travers l'achat des dits sachets. La collecte se fait exclusivement entre 2h et 5h du matin et, tenez-vous bien 1 fois toutes les semaines ou tous les dix jours ! En ce qui concerne les éventuelles tricheries constatées par le biais des caméras de surveillance quant au choix inapproprié des containers, la sanction est lourde : l'équivalent de 02 mille DT ! Le casse-tête des déchets et autres ordures ménagères a été résolu de deux façons différentes : à Alexandrie, on a opté pour la sous-traitance avec ce qui s'en suit comme budget faramineux. En Corée du Sud, on a par contre trouvé la solution idoine : ancrer la culture du recyclage et de la propreté chez les citoyens dès leur prime jeunesse, miser sur leur sens civique et sévir sévèrement en cas de contravention à la loi.
T. Ben Abdessalem, enseigant : L'exemple d' El Mourouj 1 Il y a environ deux décennies, en allant rendre visite à des proches parents, nouvellement installés à El Mourouj 1, j'ai été agréablement surpris, de voir une cité resplendissante : jardins pour la plupart gazonnés et régulièrement arrosés, haies vives, soigneusement émondées bien entretenues. Franchement, au début c'était à ne pas en croire ses yeux ! Mais allez voir dans quel état, elle est aujourd'hui ! C'est la dégradation incarnée de l'environnement !
Mustapha F, fonctionnaire : Le laxisme criard des agents de réglementation A ma connaissance, la municipalité de Sfax compte une soixantaine d'agents de réglementation qui font preuve d'un laxisme flagrant. Parmi les raisons qui président à cet état de fait est que cette catégorie de personnel relève directement de l'autorité des présidents de municipalité et des présidents d'arrondissements, c'est-à-dire des responsables soucieux de leur avenir politique donc peu enclins à la fermeté. C'est pour cela qu'à mon avis, on devrait dorénavant les rattacher directement au secrétariat général, un poste plutôt administratif donc plus porté sur la rigueur et moins vulnérable à l'interventionnisme. Il y a aussi une autre solution : pourquoi ne pas intéresser les agents de réglementation en leur accordant des primes proportionnellement aux montants des contraventions dressés ?
La municipalité de Sfax * Budget de fonctionnement : 25 millions de DT * Eboueurs : 360 y compris 60 conducteurs * Masse salariale : 15 millions de DT, soit 60 % du budget de fonctionnement * Dépenses journalières consacrées à la propreté :10 mille DT/ jour soit 03,6 millions de DT / an * Budget annuel alloué aux actions de sous-traitance ( arrondissements de Sfax Nord et d'El Bustan) : 420 mille DT * Budget annuel alloué au balayage des artères principales : 200 mille DT * Production journalière de déchets ménagers: 250 tonnes * Collecte journalière de déchets à la Médina : 40 à 50 tonnes * Arriérés des taxes locatives depuis 2005 : 06 millions de DT * Containeurs :250 + 250 à installer prochainement * Corbeilles à papiers : 100/an * 03 collectes quotidiennes à Beb Bhar, Sfax El Jadida et la Médina * Engins: 60 dont le 1/3 est en panne (vétusté à cause de la surexploitation) * Prix d'un jeu de pneus pour pelleteuse : 28 mille DT.