Par Néjib OUERGHI La crise qui a accompagné les dernières nominations (annoncées le samedi 7 janvier 2012) dans les médias publics et les réactions en cascade qu'elle a provoquées ont, indéniablement, un côté positif. Des réactions qui ont mobilisé journalistes, société civile, organisations professionnelles et défenseurs de tous bords de la liberté d'expression qui, à l'unisson, ont hurlé toute leur crainte et leur refus de voir à nouveau la presse publique tomber sous la coupe de l'autorité politique. Elles marquent, d'abord, une rupture par rapport à un passé récent où pareilles nominations, loin de déchaîner les passions, passaient presque inaperçues parce que considérées comme un fait accompli. Elles marquent, surtout, un sursaut d'orgueil qui a gagné depuis la révolution du 14 janvier 2011 les journalistes tunisiens déterminés plus que jamais à défendre jalousement leur liberté et à assumer pleinement leur mission d'informer en toute objectivité et indépendance. Une liberté, chèrement acquise, qui les a délivrés d'un asservissement avilissant et d'une marginalisation pesante qui ont duré longtemps, trop longtemps même. Dès lors, le déchaînement des réactions est à considérer comme un signe de santé retrouvée et de conscience du rôle dévolu au journaliste dans une démocratie en construction dont le devoir l'oblige d'informer en toute liberté et de ne plus courber l'échine à aucun pouvoir, si ce n'est sa conscience. Un devoir d'informer et une indépendance qui sont les conditions indispensables pour l'éclosion d'une presse nationale crédible, libre et professionnelle; une presse qui reflète les vrais attentes des Tunisiens et leurs préoccupations, non les caprices du «Prince». Incontestablement, le souffle révolutionnaire et la soif de liberté ont permis aux médias publics, très vite, d'interpeller le Tunisien et de reconquérir progressivement sa confiance. La partie est loin d'être gagnée. Les médias ont, encore et toujours, besoin d'un surcroît de veille, de persévérance et de hargne pour résister à toutes les tentations de retournement et de dérives. Ils ont également besoin d'un professionnalisme affirmé et confirmé, meilleur aiguillon dans leur quête inlassable de la vérité. Cette crise est d'autant plus salutaire qu'elle a permis à tous ( journalistes, pouvoir politique et société civile) de tirer les enseignements qu'il faut et de fixer les lignes rouges qu'il est désormais interdit de franchir. Le premier de ces enseignements se réfère au rôle et à la place de la presse publique qui a réussi à briser les fers qui l'avaient longtemps enchaînée et à faire sa mue — non sans difficultés — de médias à la solde du gouvernement en médias citoyens voués à la défense des intérêts de tous les Tunisiens. En médias publics où la liberté de blâmer est consacrée, le droit à la différence reconnu, l'expression plurielle est la règle, l'implication de tous dans la définition de l'avenir de ces entreprises érigée en choix et la bonne gouvernance en condition sine qua non de survie. A l'évidence, cultiver cet esprit et consacrer ces pratiques citoyennes constituent la voie du salut pour les médias publics qui ont pour mission historique, dans la Tunisie post-révolution, de consacrer en leur sein les pratiques démocratiques, celles-là mêmes qui se présentent comme leur meilleur gage pour renforcer leur audience, leurs performances, leur liberté d'action et, également, leur pérennité.