L'appel lancé récemment par Béji Caïd Essebsi, ancien Premier ministre, appelant à la création d'une force centriste qui serait capable de constituer une alternative crédible et réelle à la Troïka actuellement au pouvoir a suscité un débat riche et passionnant au sein du paysage politique national entre ceux qui soutiennent cette initiative et considèrent qu'elle est venue au moment opportun d'une part et, ceux qui estiment, d'autre part, qu'elle n'est en réalité qu'une tentative de mettre les bâtons dans les roues afin que le gouvernement Jebali, qui n'a pas encore 100 jours d'existence, ne parvienne pas à réaliser ses promesses ni son programme social et électoral. Comment les différents acteurs de la vie politique nationale réagissent-ils à cette dynamique de débats et d'échanges qui continuent à accaparer l'attention des Tunisiens, en dépit des autres événements ayant dominé l'actualité tels que l'incident de Bir Ali Ben Khlifa, l'expulsion de l'ambassadeur de Syrie en Tunisie ou la vague de froid et de neige qui sévit depuis quelques jours dans l'ensemble du pays. Une ouverture souhaitable et souhaitée Pour Nizar Ben Saâd, membre du comité directeur du Parti de la nation tunisienne (dirigé par Mohamed Jegham), «on peut dire, en effet, que les forces qui ont répondu favorablement à l'appel de M. Caïd Essebsi appartiennent à des mouvances différentes l'une de l'autre. Elles constituent des alliances contre nature, entre destouriens de l'ère Bourguiba et gauchistes qui n'ont jamais reconnu le régime bourguibien. Cependant, si cette initiative se concrétise c'est de bon augure. Je dirais aussi que c'est une ouverture souhaitable et souhaitée». Quant aux critiques que l'appel a suscitées, notamment auprès des partis formant la Troïka au pouvoir, il estime que «ce sont des insinuations infondées, abusives et trompeuses de la part de cette alliance qui s'ingénie à dissimuler vraiment ses insuffisances et son manque d'expérience et à cacher les abus qu'elle ne cesse de commettre, en l'occurrence le favoritisme et le clientélisme, sous toutes leurs formes. Nous n'attendons plus grand-chose de ce gouvernement dans la mesure où la politique qu'il mène actuellement n'est qu'une manière subtile d'endiguer et d'apaiser les tourments des uns et des autres». Quant au Pr Ajmi Lourimi, membre de la direction du Mouvement Ennahdha, il relève qu'il «est du droit absolu de M. Caïd Essebsi de lancer les appels qu'il veut ou de proposer les initiatives qui lui paraissent les plus indiquées pour unifier les forces qui partagent ces idées. Seulement, ce qui intrigue dans son dernier appel, ce sont bien le moment qu'il a choisi pour le dévoiler à l'opinion publique et son contenu qui sont venus perturber le paysage politique national et y introduire une fausse note au moment même où notre pays vient d'entamer, après les élections du 23 octobre 2011, une nouvelle étape de sa transition démocratique. Le fait de lancer cette initiative, le jour même où le chef du gouvernement ainsi qu'une importante délégation ministérielle étaient au Forum de Davos, ne peut, sous aucune forme, être interprété comme une action de soutien à ce même gouvernement. C'est plutôt une action cherchant à réduire les opportunités de réussite du gouvernement à tirer profit de sa participation à une aussi importante rencontre d'investisseurs et de bailleurs de fonds que nous cherchons à motiver pour venir en aide à notre pays, en cette délicate phase par laquelle passe notre pays». Comme Ennahdha, la principale force politique composant la Troïka répond-elle à ceux qui appellent aujourd'hui à la constitution d'un gouvernement de salut public ? Lajmi Lourimi souligne, avec précision et concision: «Ceux qui revendiquent aujourd'hui un gouvernement d'union nationale ou de salut national ne font qu'exprimer, en réalité, leurs regrets d'avoir refusé notre proposition de faire partie du gouvernement et d'avoir opté pour l'opposition.Nous considérons que l'opposition ne sait plus sur quel pied danser et en sautant sur l'initiative de Caïd Essebsi, elle a démontré qu'elle est encore à la recherche d'une identité qui lui soit propre et qu'elle a besoin d'une façade, oubliant qu'elle doit rajeunir ses cadres et ses responsables, exercer son devoir d'encadrer la société et non à s'aligner derrière des hommes qui ont fait leur époque et dont on n'attend plus rien. Cependant, nous demeurons convaincus que la Tunisie a besoin d'un pluralisme réel, d'une opposition sérieuse et de partis forts sans tomber dans la division des Tunisiens entre islamistes et laïcs et sans provoquer des luttes et des conflits qui n'ont pas lieu d'être. Il nous faut plutôt nous consacrer à l'essentiel, soit imaginer des solutions aux problèmes de l'emploi, du développement régional, etc.». Une campagne électorale prématurée Porte-parole du Parti populaire pour la liberté et le progrès, le Pr Mounir Kachchoukh est convaincu que l'appel lancé par Béji Caïd Essebsi n'est en réalité «qu'une tentative pour regrouper les partis d'obédience rcédiste et destourienne.Encore plus, je n'adhère pas à l'analyse selon laquelle les destouriens étaient maltraités à l'époque de Ben Ali. Pour moi, ils ont rejoint le RCD dans leur écrasante majorité et aujourd'hui, ils essaient de retourner à la scène politique sous la bannière de Caïd Essebsi qui n'a plus rien d'intéressant à proposer aux Tunisiens. Pour nous, au PPLP, les choses sont claires : il s'agit d'une campagne électorale avant l'heure dont l'objectif est d'ouvrir la voie à Caïd Essebsi pour qu'il retourne au pouvoir. Pour ce qui est des critiques que le gouvernement actuel est en train de subir, je considère que nous sommes en train de faire notre métier d'opposition réelle et vigilante.Une opposition qui évalue l'action du gouvernement dévoile les erreurs qu'il commet et défend les objectifs de la révolution. Efficacité économique et justice sociale «Nous avons accueilli favorablement l'appel de Si El Béji qui est venu à un moment où notre pays traverse une phase marquée par des dérives inacceptables commandant aux forces réformistes et centristes d'unifier leurs rangs, de conjuguer leurs efforts et de se mobiliser pour préserver le processus démocratique contre les dépassements, quelle que soit leur provenance», note Hosni Lahmar, président du Parti social libéral (PSL). «Dans notre parti, poursuit-il, qui dialogue depuis des semaines avec d'autres forces du centre, on est convaincu qu'il est nécessaire de constituer une force qui pèsera au cours des prochaines échéances électorales». Le président du Parti social-libéral tient à dénoncer «les critiques déplacées et inappropriées qui ont visé Si El Béji, un patriote qui a réussi sa première mission consistant à mener le pays, dans les meilleures conditions possibles, aux élections du 23 octobre 2011». «Pour nous, la Tunisie a besoin de l'énergie de la jeunesse et de l'expérience des pionniers. La réalisation de l'alternance que nous recherchons sera facilitée par des hommes d'Etat de la trempe de Si El Béji et par la dynamique militante des partis qui vont constituer la nouvelle force centriste qui permettra à la Tunisie d'allier l'efficacité économique à la justice sociale», ajoute-t-il.