Par Soufiane BEN FARHAT Politique et mystère vont de pair. La réalité tunisienne ne le dément point. Jusqu'ici, une gangue d'épais secret enveloppe certains faits politiques majeurs sous nos cieux. On épiloguera encore longtemps pour savoir qui a fait quoi et quand dans l'affaire de l'expulsion de l'ambassadeur syrien à Tunis. Un cercle d'initiés et des gens dans le secret de Dieu le savent. Pourtant, ils se taisent. Parce que l'affaire gêne au plus haut niveau, par-delà les justificatifs, les postures et les apparences. Malgré la discrétion gouvernementale à ce propos, l'observateur attentif peut déceler des divergences d'appréciation au sein même de la Troïka au pouvoir. Prenons l'exemple des militants et des bases du mouvement Ennahdha. Leur attitude vis-à-vis du pouvoir syrien se recoupe avec celle vis-à-vis de l'Iran. Ils sont partagés entre la fidélité à des principes acquis de longue date et des impératifs nouveaux de realpolitik. D'un côté, il y a le nouvel axe américain-israélien-sunnite pour lequel le renversement du pouvoir de Bachar Al-Assad en Syrie n'est que le prélude à l'éradication du Hezbollah libanais, et, dans un second temps, de la guerre contre l'Iran. De l'autre côté, il y a ceux qui s'en tiennent à l'alliance indéfectible d'Ennahdha avec les principaux pays islamiques, à savoir la Turquie, l'Iran, les monarchies du Golfe, la Malaisie... Un véritable choix cornélien en somme. Et cela est d'autant plus douloureux pour certains nahdhaouis que leur mouvement tisse, depuis des décennies, des affinités avec la République islamique d'Iran. L'exemple de la Révolution iranienne a toujours inspiré les leaders nahdhaouis dans leur activité de propagande et de conscientisation des bases. Aujourd'hui, en termes géostratégiques, l'axe américain-israélien-sunnite semble avoir le vent en poupe. Il se traduit par l'empressement américain à fédérer la communauté internationale contre la Syrie, la diligence que met le Qatar à isoler Damas dans l'enceinte arabe et islamique et les préparatifs israéliens en vue d'une frappe militaire, voire une guerre contre l'Iran. La décision d'expulsion de l'ambassadeur syrien à Tunis réconforte cet axe. Pourtant, cela génère auprès des militants et des sympathisants nahdhaouis des réticences nourries de scrupules sinon des refus secrets. Encore une fois, la raison d'Etat et les jeux d'intérêts se retrouvent en porte-à-faux avec les principes. Et les observateurs attentifs en décèlent les traces. Ainsi, peu de nahdhaouis ont-ils participé avant-hier aux manifestations contre le régime d'Al-Assad dans certaines villes tunisiennes. De même, la représentativité gouvernementale n'était pas particulièrement élevée lors de la réception donnée avant-hier à la résidence de l'ambassadeur d'Iran à l'occasion du 33ème anniversaire de la Révolution iranienne. Un seul ministre nahdhaoui, M. Moncef Ben Salem, ministre de l'Enseignement supérieur, y a pris part. Il y avait également le ministre des Affaires sociales (M. Khlil Zaouia d'Ettakatol) et la ministre de la Femme (Mme Sihem Badi du CPR). Point de chef du gouvernement ou de quelque haut représentant d'Ennahdha. Après avoir été longtemps en retrait des regroupements politico-militaires internationaux, la Tunisie se retrouve tout à coup aux premières loges des dispositifs politico-militaires offensifs. Témoin, les déclarations récentes de notre ministre des Affaires étrangères en faveur d'une intervention militaire étrangère en Syrie. Idem des appels du chef du gouvernement tunisien, depuis Munich, en faveur de l'expulsion des ambassadeurs syriens dans le monde entier. Cela génère des concessions sur les principes et des indispositions et gênes manifestes au sein des partis hier encore partisans de la lutte contre l'axe stratégique américano-israélien. Le mouvement Ennahdha en éprouve un véritable péril en la demeure. Décidément, la politique a ses raisons que la raison ignore.