La vague de froid glacial qui sévit sur le Nord-Ouest ne semble pas lâcher prise. Le manteau blanc sous lequel frémissent les cœurs et les esprits a révélé l'ampleur d'une catastrophe naturelle qui relève du jamais vu, mettant à rude épreuve les faibles capacités logistiques et matérielles d'une région montagneuse longtemps laissée pour compte. Aïn Draham, où toutes les potentialités touristiques et agricoles existantes seraient, une fois revalorisées, en mesure de transfigurer son visage économique, demeure, en ces circonstances climatiques exceptionnelles la destination particulière d'un élan de solidarité qui vient d'ailleurs. Et voilà qu'une nature capricieuse a mis au grand jour, au bout d'une semaine longue et pénible, la nonchalance des pouvoirs publics en place et la mollesse des stratégies de crise en pareille période hivernale. En dépit de tout ce qu'on a dit et entendu sur les tonnes d'aides acheminées, qu'elles soient fournies par nos concitoyens ou par nos frères arabes, les souffrances éprouvées par les habitants des zones enneigées persistent sans relâche. A l'entrée de la localité de Aïn Draham, à travers le spectacle des pistes sinueuses et des toits en brique couverts d'une épaisse couche de neige, l'on se rend compte, d'emblée, que rien ne laisse deviner des interventions conséquentes ou un retour à la normale. Outre le déblaiement de la neige et le déploiement des niveleuses et des pelleteuses, mobilisées pour rétablir la circulation et faciliter le passage de certains convois vers leurs destinations, l'état des lieux en dit long. C'est que la discorde des parties intervenantes, le dysfonctionnement inquiétant des structures concernées et la mauvaise gestion des opérations de distribution des aides ont révélé les dessous d'une réalité inquiétante. Et les témoignages des habitants, toujours en proie à la pauvreté et à l'oubli, viennent donner la mesure de l'impact réel de la catastrophe. «Où sont les aides des citoyens tunisiens généreusement collectées de partout, ou celles provenant du Qatar et des Emirats Arabes Unis ! Nous n'en avons rien vu», s'interroge une foule de paysans ayant difficilement fui leurs maisons menacées. L'un d'eux nous a sollicités afin de bien vouloir lui rendre visite pour constater de visu l'ensemble des dégâts qu'il a récemment subis. «Nous vivons dans la précarité, sans eau ni électricité. Nos familles sont en détresse et notre cheptel a péri par ce froid et par manque de fourrage», déplore-t-il, lançant des appels d'urgence aux médias pour passer le message. Dar Fatma, Fej Errih, Tbaïnia, Sra Rabeh, El Homrane, Babbouche, Rouaï, Oued Ezzène et bien d'autres poches de pauvreté qui gravitent tout autour de la localité de Aïn Draham, dans un rayon de quelques dizaines de kilomètres, sont autant d'agglomérations rurales qui souffrent dans l'isolement. D'autres ont crié haro sur la classe politique en raison de leur situation critique. Dénonçant les mesures et les dispositions qui traînent en longueur, au lendemain du drame, Ayed, retraité de l'Armée nationale depuis cinq ans, nous a indiqué que certaines routes rurales n'ont été rouvertes qu'une semaine après le début de la crise. «Malheureusement, les aides ne sont pas parvenues à leurs vrais bénéficiaires», déclare-t-il. Et de signaler en toute franchise: «A partir des camions les transportant, elles ont été livrées à tort et à travers, ce qui laisse penser que certaines aides ont pu être vendues aux épiciers de la ville…». «D'ailleurs, ces familles sinistrées ont davantage besoin d'un véritable apport d'infrastructures et d'amélioration de leur cadre de vie que de quelques aides modiques circonstancielles», a-t-il encore ajouté sur un ton teinté d'ironie. Et d'enchaîner en faisant remarquer qu'il aurait fallu se préparer à l'avance pour mieux identifier les besoins pressants des habitants et agir en conséquence. Abondant dans le même sens, Zouhaïer, chauffeur de louage rural, habitant à Dar Fatma, a juré qu'il n'est sorti travailler que samedi dernier, en raison du blocage des routes et de la paralysie des clients, enfermés chez eux depuis une semaine. «Le niveau des neiges accumulées a atteint plus d'un mètre, c'est pourquoi je m'attendais à ce que les voisins arrivent à me dégager la voie», raconte-t-il. Des jours et des nuits durant, la région a été en alerte orange. Mais pour qui sonne le glas ? Le délégué a déserté son poste en pleine crise. Le gouverneur n'a pas foulé le sol de la zone sinistrée, tout au long de la semaine. Et les autorités politiques ont tardé à bouger. C'était alors le fait accompli, comme l'ont souligné plusieurs citoyens rudement touchés. Seule l'Armée nationale, en collaboration avec les agents de la sécurité et certains représentants de la société civile, s'est mise en branle efficacement. Tout ce monde s'est mobilisé, avec les moyens du bord dont il dispose, pour assurer la bonne gestion de l'opération de secours et de distribution d'aides. Devant la grande salle de sport de la ville, cadres et soldats de l'armée, aux côtés des policiers, ont œuvré main dans la main afin de stocker les aides sociales parvenues pour les distribuer ultérieurement aux bénéficiaires déjà en file d'attente dès l'aube. Ces derniers sont venus à pied de loin pour avoir droit aux paquets de denrées alimentaires et autres produits divers. Déçus, beaucoup parmi eux ont affiché leur désagrément. Une femme âgée a déclaré : «Ces aides sont en deçà de nos attentes. On a besoin du nécessaire manquant... ». Houcine, habitant d'Ouled Hlal, en colère, a fait cette remarque : «Et s'il s'agissait d'une campagne électorale, les hommes politiques candidats seraient arrivés le plus rapidement possible ! ». Faute d'organisation et de coordination, plusieurs convois chargés ont été détournés à destination d'autres agglomérations démunies. Personne n'était au courant de la destination «privilégiée» des caravanes de solidarité provenant de la capitale et d'autres endroits du pays. Même le comité ad hoc regroupant des membres de la société civile, constamment réunis au siège de la délégation, n'en savait rien. Il ne travaille pas en concertation avec la cellule de crise mise en place. «Chacun œuvre de son côté», dit un des présents. «L'on a établi un plan d'action et d'intervention qui peut aider en cette situation d'urgence, avec le concours de la radio locale du Kef, afin de communiquer aux citoyens l'acheminement des aides, en mettant à leur disposition un numéro vert», a expliqué M. Ahmed Mechrigui, membre du comité de suivi. Alors pourquoi la situation s'est-elle aggravée de la sorte? Cela est dû certainement à toutes ces défaillances à combler, au niveau aussi bien des interventions retardées que du manque de responsabilité des pouvoirs locaux et régionaux. Et l'infrastructure de base laisse également à désirer. Face aux aléas du climat, tout devrait être calculé. En prévision d'une nouvelle vague de froid annoncée par la météo pour aujourd'hui et les jours qui suivent, l'on espère donc que la situation sera mieux maîtrisée. Tous devraient agir en totale coordination afin d'éviter tout débordement indésirable. Que la nature soit aussi douce et clémente.