Par Khaled TEBOURBI Pourquoi la mort de Whitney Houston nous touche si profondément, nous, les générations de la culture musicale arabe classique? Déjà pour une raison d'histoire : tôt dans notre jeunesse, nous avons eu le goût de la chanson internationale. Goût est bien le mot. C'était l'époque des grandes voix mythiques, Sinatra, Ray Charles, Billy Hollyday, Nina Simone, Piaf, Brel, Bécaud, Aznavour, Presley et Belafonte etc., des voix qui s'appuyaient sur des textes d'auteurs et des mélodies à jamais identifiées, unique chacune. Nous appréciions, nous admirions une œuvre «en soi», une musique, une poésie, des talents dans l'absolu, nous n'étions pas «sous influence». Sur ce chapitre, du moins, notre dualité culturelle nous la devions à la qualité propre d'un art, davantage qu'à «l'intrusion du colon», comme l'on dit. Mais ces chanteurs mythiques nous étaient proches de par la nature même de leur chant. C'était un chant de «facture» ainsi que le décrivent les spécialistes, mesuré sur des timbres, des registres, des hauteurs, des tessitures, des tonalités. Pas le simple «son de voix» arrangé et rectifié, de nos jours, dans les studios d'enregistrement. C'était un chant d'impros, de performances, de nuances, de sentiments, à l'écoute attentive quasiment identique au chant arabe traditionnel. A tout considérer, c'est cette affinité là qui nous a fait aimer Whitney Houston, et qui fait que nous regrettions tant sa disparition aujourd'hui. La jonction parfaite A ses débuts, dans les années 80, Whitney Houston se mit à «la pop» et la «soul». Musiques essentiellement basées sur le rythme et le phrasé répétitif, «intempestif». Son génie fut d'y mêler les techniques du gospel, du jazz et du blues, tout le background vocal ancien, en fait. Ce qui conféra à son style, l'ancrage, l'épaisseur et les développements qui manquaient manifestement à un genre en vogue. Mieux qu'une synthèse, la jonction de deux écoles : celle des pionniers du chant et celle des «rockers». Le morceau de bravoure, on le déguste encore en revoyant le film «Bodyguard» et en réécoutant sa chanson culte «I will always loving you». Ce que Whitney Houston y réussit est un modèle de virtuosité, l'illustration parfaite d'une création vocale qui accède à l'écriture musicale. Le motif mélodique de «I will always...» ne compte presque plus devant les pointes aiguës, les sauts d'intervalles, les cadences vibrantes et prolongées, l'alternance de puissance et de souplesse, le souffle et la tonalité de la chanteuse. Deux chansons en une : celle de la partition et ce qu'en fit l'interprète Whitney. Sur les deux fronts Similitude : on disait la même chose de nos divas. De Oum Kalthoum en particulier. Les compositeurs ne reconnaissaient plus leurs chansons quand elle les avaient chantées. Whitney Houston a été l'ultime diva de la chanson internationale. Ce chant d'inspiration, de surpassement, ce chant inventif, créatif ne se reproduira peut-être plus en Occident. Là, on préfère désormais fabriquer des voix et «informatiser» des sons. Dans nos contrées non plus, du reste, l'art vocal n'est plus de première nécessité. En somme, nos «générations classiques» auront perdu sur les deux fronts.