Impeccable de rigueur, Slah Mosbah a fait prevue d'imagination et de création pourtant soumises à des règles formelles. Il a superbement restitué le génie et l'envergure d'un Sombati qui a fait en sorte que les différents tournants pris par la musique de grande diffusion ne soient pas appréhendés en termes de rupture, mais plutôt d'évolution, somme toute inévitable. Le concert de mercredi dernier, donné dans le cadre de la 28e édition du Festival de la Médina, une session dédiée à la mémoire de zoubeïr Turki dans les jardins du palais Khéreddine Pacha, Slah Mosbah l'a voulu et conçu comme un vibrant hommage à Riadh Sombati (1906-1981), compositeur égyptien exigeant et brillant luthiste qui refusa le répertoire léger en vogue dans l'entre-deux-guerres. Il devint le principal compositeur de l'astre de l'Orient, Oum Kalthoum. Le grand mérite de Sombati est d'avoir fait évoluer la chanson légère vers une mélancolie rêveuse, une langueur majestueuse, imposant définitivement le moule des trois ou quatre couplets, précédés chacun d'une introduction instrumentale distincte, se fondant dans un refrain attendu comme une délivrance ou une signature implacable dans l'esprit fataliste de l'écriture de Ahmed Rami, le poète attitré de la grande diva. Dans cet hommage, Slah Mosbah a réussi la gageure et remporté le défi d'avoir rendu compte de la «mise à niveau de l'auditoire» opérée par Riadh Sombati qui a substitué à l'exploration des potentialités du maqam, une composition musicale faite de contrastes inattendus, astucieux et élégants. Avec sa voix d'une richesse infinie en tonalité musicale (sa tessiture vocale inclut les douze sons mineurs et les douze sons majeurs de la gamme chromatique de la technique vocale), Slah Mosbah évolue vers une grande lisibilité de la ligne mélodique, dédaignant ainsi les effets virtuoses et les cascades ornementales qui, étant donné leur caractère superfétatoire, ont été économisés sans pour autant disparaître. Slah a été génial pour avoir saisi et compris que Riadh Sombati, tout comme Mohamed Kassabgi, Abdelwahab, Zacharia Ahmed, appartient à une génération disparue, des pionniers dans la vulgarisation d'un art élitiste qui n'a rien à voir avec l'occidentalisation de surface, représentée par quelques arpèges anecdotiques ou quelques pas de rumba, accompagnés au piano qui ont acquis avec le temps un charme désuet. Feeling et émotion A la tête d'un takht (formation) placé sous la direction d'Iskander Ghorabi et composé de quatre violons, deux altos, deux violoncelles, trois percussions, un qanoun, un naï, un oud, deux guitares sèches, une batterie et cinq choristes dont deux jeunes filles, Slah Mosbah a ouvert le récital avec une pièce instrumentale de son cru intitulée Rue du Pacha en référence au quartier où il a vu le jour. Il a fait montre d'une grande attention à l'observance scrupuleuse du détail rythmique et de la broderie mélodique, ce qui n'a pas exclu une exubérante fantaisie, présente de bout en bout du concert. Dans le respect de l'esthétique ancienne des principes intangibles de la stylistique musicale, l'artiste a usé des trois éléments fondamentaux et indissociables de la stylistique classique : l'improvisation, l'ornementation et l' «hétérophonie», qui désigne la superposition ou le chevauchement de différentes versions dans une même mélodie. Doté d'une sensibilité à toute épreuve qu'il tire de l'essence intrinsèque de sa nature et favorisé par une qualité d'émotion et de feeling qui, par moments, frôle la perfection, Slah s'est particulièrement illustré dans l'art difficile de transcender les facilités des airs et des morceaux interprétés. Coup sur coup, il a chanté les compositions de Sombati rivalisant ainsi avec les meilleurs des interprètes de ce répertoire. Rahat Layali (Et passent les jours) de la Libanaise Sabah, Ya nassi ayamme (Tu oublies le passé) d'une autre Libanaise, Souad Mohamed, Assal ou soccar (Propos mielleux) de la grande Chahrazade et enfin aux chansons d'Oum Kalthoum Ala baladi mahboub (Au pays bien-aimé) et Ha ablo bocra (Je le vois demain). Avant de clôturer avec El alb yaâchak kolli gamil (Le cœur préfère ce qui est beau), Slah nous a servi son répertoire de chansons inédites: Tanhida (Soupir), Nestanna» (J'attends), M'nama tuila (Une longue rêverie), des compositions inédites. Profondément influencé par Sombati, Slah a adopté jusqu'à ses couleurs préférées dans sa tenue vestimentaire. Il était vêtu de gris anthracite et de noir. En fait, Slah a changé de tenue lorsqu'il s'est attaqué à son répertoire avec un costume inspiré de la tradition artisanale.