Par Soufiane BEN FARHAT Les malentendus et les fâcheux accrochages entre le gouvernement et les médias persistent. A preuve, l'émission, la semaine dernière, d'un mandat de dépôt contre le journaliste Nasreddine Ben Saïda, directeur d'Attounissia. Une première ahurissante. Visiblement, aux dires de sources judiciaires autorisées, il y a eu déni de justice. L'arrestation de Nasreddine Ben Saïda est intervenue en vertu de l'article 121 du Code pénal. Or, il semble bien que les poursuites devaient être engagées, le cas échéant, sur la base du décret-loi n°115, portant publication du nouveau Code de la presse. Ce décret-loi est entré en vigueur depuis le mois de novembre dernier. Par ailleurs, ledit déni de justice serait doublé d'une interférence du pouvoir exécutif dans le déroulement de la justice. En fait, le journaliste a été poursuivi, arrêté puis maintenu en prison sur ordre de l'instruction publique et non suite à une plainte. Cela fait dire à Me Khaled Krichi, membre du comité de défense dans l'affaire d'Attounissia, que «cette affaire est d'ordre politique et non pas juridique». Raison pour laquelle ce comité a appelé à former un seul front pour soutenir Nasreddine Ben Saïda. A l'entendre, l'affaire s'inscrit dans un système global de libertés, Ben Saïda étant considéré aujourd'hui comme «le premier prisonnier d'opinion après la révolution». Bien évidemment, les journalistes, leurs organisations et structures représentatives sont montés au créneau. Il n'est guère question de laisser passer un tel précédent, impunément. Les instances internationales appropriées (Fédération internationale des journalistes, Reporters sans frontières...) ont vivement condamné l'incarcération du journaliste. Le monde entier s'en est fait l'écho. En face, le discours du gouvernement et de certaines figures de proue du mouvement Ennahdha s'est, encore une fois, durci à l'endroit des journalistes. Tel fut le cas du chef du gouvernement, en tournée en Arabie Saoudite, ou de Samir Dilou, ministre porte-parole du gouvernement. Ce dernier s'est même distingué par des envolées lyriques inhabituelles à l'encontre des médias et des journalistes. Une vidéo du mouvement Ennahdha le montre dans un meeting avec des partisans du mouvement à Bizerte. La mine grave, il y tient un discours particulièrement enflammé à l'endroit des journalistes. Cela ne lui ressemble guère. Arrêter un journaliste, c'est tout simplement inadmissible en démocratie. Pourtant, un peu partout dans le monde, les journalistes sont fréquemment traduits en justice. Nul n'est au-dessus de la loi, certes. Mais on n'applique guère aux journalistes, dans l'exercice de leurs fonctions, des peines privatives de liberté. L'affaire est assez grave. Quelle qu'en soit l'issue, le mal est déjà fait. Et les dés sont jetés. Osons même dire qu'ils sont pipés. Me Mokhtar Trifi a affirmé avant-hier sur les ondes d'une radio privée qu'il savait que le directeur d'Attounissia allait faire l'objet d'un mandat de dépôt, ayant été informé d'un verdict, à l'en croire, pris d'avance. Ce n'est guère plus une nouveauté : le mouvement Ennahdha et les journalistes entretiennent des rapports tordus. L'incompréhension prévaut. La diabolisation guette. La scène politique en pâtit. Pourtant, on a cru que le gouvernement a tiré les leçons de son premier bras de fer avec les journalistes. Les armées battues sont bien instruites, croit-on savoir. Et puis, la culture de l'altérité fait encore défaut. En Europe, les gouvernements issus de révolutions dites colorées ont tout fait pour ne point succomber à l'examen sur ce plan précis. Maintenant, le plus dur commence. Pour toutes les parties, la mise d'un journaliste sous les verrous atteste d'un sous-développement caractérisé. C'est inadmissible, quel que soit le motif indiqué. Que doit-on faire pour parer à ce gouffre de plus en plus béant qui oppose le gouvernement et les journalistes ? Le dialogue de sourds semble avoir encore le vent en poupe. Hélas !