Dans son emploi du temps plutôt chargé pour sa visite en Tunisie, Tariq Ramadan a eu le temps d'accorder à la presse locale une conférence, qui s'est tenue samedi dernier dans un hôtel de la place, avant la table ronde qu'il a animée à Beït El Hikma sur le thème « Cohabitation entre islamistes et laïcs ». Auteur de « L'islam et le réveil arabe », à la sortie (en Tunisie) duquel nous devons sa visite, le Suisse, d'origine égyptienne, Tariq Ramadan est, entre autres, professeur en études islamiques contemporaines à Oxford et directeur du Centre de recherche sur la législation et l'éthique islamique au Qatar. Ses ouvrages, tels « Mon intime conviction» et « L'autre en nous. Pour une philosophie du pluralisme», sont porteurs d'une réflexion sur le dialogue entre l'islam et l'Occident, surtout concernant les musulmans d'Occident et leur identité. Il y a donc, entre son riche parcours et l'actualité brûlante dans le monde arabe, de quoi faire de Tariq Ramadan un interlocuteur intéressant pour les journalistes, lui qui est connu pour son éloquence et sa lucidité, qui font sa réputation dans les plateaux de télévision européens, notamment français. Concernant la Tunisie, citée dans « L'islam et le réveil arabe », Tariq Ramadan dit que la priorité est dans l'éducation, les droits civiques, la justice et l'économie. Elle est aussi, selon lui, dans la mémoire, dans le sens où il y a une réconciliation à faire. En matière d'identité, « il faut se placer dans une indépendance culturelle et économique, pas seulement politique », affirme-t-il, tout en expliquant que se libérer de la domination de l'autre ne veut pas dire rejeter tous ses jalons. Il pense particulièrement à la France qui ne doit plus être notre partenaire privilégié, conseille-t-il. « Il faut faire cesser la dépendance économique à un seul partenaire et parler à tous (Chine, Turquie, Russie...) et ne pas oublier que la Tunisie est un pays africain et non un sous-pays européen », rétorquait-il, lors de la conférence de presse, en réponse à une question. A son tour, l'islamologue et penseur helvète dit avoir beaucoup d'interrogations à discuter avec le président de la République, Moncef Marzouki, qu'il allait visiter plus tard dans la même journée. « Je l'ai rencontré quand il était opposant en France et j'ai beaucoup de questions à lui poser concernant sa vision pour le pays et pour le futur ». Face à Tariq Ramadan, on ne peut pas passer outre à son avis sur ce qui se passe en Tunisie en matière d'islamisme/progressisme. A cela, il répond qu'il faut d'abord qu'il y ait un dialogue entre les deux parties. « C'est la méthode qui n'est pas la bonne. Il faut se confronter sur les problèmes politiques et sociaux et non sur les idées d'appartenance », a-t-il expliqué. Dans ce sens, la Tunisie n'est pas un cas isolé, puisqu'en Libye comme en Egypte, les islamistes sont au pouvoir. La conférence a été une occasion d'en parler et de s'étaler sur ce que Tariq Ramadan dit déjà dans son dernier livre. « On ne peut pas nier le dialogue entre les islamistes, les armées des pays arabes et les Etats-Unis, mais le tout est de savoir qui veut quoi dans la région », atteste-t-il. Et d'ajouter : « Aujourd'hui, il y a des forces qui veulent des changements dans le monde arabe mais ils ne peuvent pas tout contrôler». Il propose de collaborer avec tous les pays tout en ayant sa propre vision et son propre socle. Au sein d'un même pays, Tariq Ramadan dit « qu'il faut travailler ensemble, parce qu'il s'agit de l'avenir de tous et de celui des enfants de tous », quelles que soient les différences. La Tunisie en a grandement besoin.