Un concert de Kamiliya Jubran est une expérience à vivre. Cette Palestinienne de Galilée aux allures androgynes, semble chercher, à travers la musique, une identité et une patrie. Son passage par Tunis, vendredi dernier, à la maison de la culture Ibn-Rachiq, s'est inscrit dans la célébration par le ministère de la Culture de la Journée internationale des droits des femmes. De quoi espérer une rupture définitive avec d'anciennes traditions de célébration, surtout quand on sait que la deuxième partie du concert a été assurée par la Tunisienne Badiâa Bouhrizi, celle-là même qui critiquait ouvertement l'ancien régime dans ses chansons. Ce spectacle fait partie de toute une manifestation, incluant une exposition de peinture, une présentation d'une nouvelle édition littéraire féminine et une table ronde sur «La création culturelle féminine». Au programme, également, de la poésie féminine lors des entractes entre les parties de Kamiliya Jubran et de Badiâa Bouhrizi, avec des passages sur scène de Yousr Fraoues, Fadhila Chebbi, Fatma Ben Mahmoud, Oumaïma Zaïer, Abir Mekki, Imen Blaïech et Fatma Ben Fdhila. Un autre type de poésie est celui qu'a fait découvrir Kamiliya Jubran au public tunisien qu'elle n'a pas rencontré depuis 2003, l'époque où elle se lançait dans une carrière solo avec son album Mahattat, et ce, après une vingtaine d'années passées avec la troupe palestinienne «Sabreen». Fille d'un maître luthiste, elle joue de plusieurs instruments, dont le luth et le qanun, en plus de sa maîtrise du chant. Après Mahattat, est venue la collaboration avec le Suisse Werner Hasler. Lui, avec sa trompette et ses compositions électroniques, Kamiliya Jubran avec son luth et sa voix. Une rencontre dont sont nés les albums Wamidh et Wanabni. A écouter l'artiste palestinienne, désormais installée en Suisse, on a l'impression que tout est question de rencontre dans son art. Aussi, explique-t-elle, avant chaque chanson, d'où vient son texte et comment elle a fait connaissance avec son auteur ou auteure. Ils s'appellent Mahmoud Darwish, Salman Msalheh, Hassan Najmi ou encore Aïcha Arnaout. Leurs mots ruissellent de sa gorge et coulent comme une rivière dont le flux dépend de la musique. Le résultat est assez cérébral. Il impose surtout le respect, une valeur qui se dégage à travers l'œuvre et sa maîtresse. Cette dernière affirme que sa conception de la patrie tourne autour de la dignité de chacun et du respect des uns les autres, dans la paix et l'harmonie. Une patrie rêvée et recherchée dans les sons et les paroles. Quand le micro est cédé à Badiâa Bouhrizi, c'est une autre artiste qui donne à la chanson sa juste valeur et sa juste définition, qui se révèle. Des mots qui résonnent et une mélodie qui touche le fond de l'âme. Sa sublime voix aidant, Bouhrizi chante la douleur, celle du zawali (le pauvre) et de l'Homme face à l'injustice. Elle chante du Fadoua Toukan, mais surtout du tunisien, le tout rehaussé par sa guitare, par le violon de Wissem Ziadi et par les percussions de Malek Ben Halim. Elle incarne si bien la tunisianité de la chanson, à laquelle elle donne comme titres : Labès, Ma tansech, Ya galb, Ila Salma, Manifesto... Pendant ce concert, où il pleuvait sur la ville, elle n'était pas la seule où il pleuvait des larmes dans son cœur.